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qu’il est plus grand que l’univers matériel ; telle autre, que Dieu est distinct du monde, qu’il le domine et qu’il est plus grand que lui. Des objets matériels expriment des choses immatérielles, des pensées. Les signes des medas se rapprochent ainsi des hiéroglyphes égyptiens. Ces figures, servant en même temps de signes mnémoniques, ont quelque rapport avec le système de signes que les anciens appelaient mémoire artificielle, et dont ils attribuaient l’invention à Simonide. Il est vrai que ce système était si obscur, que Quintilien lui-même n’a pu l’expliquer sans tomber dans la confusion. Cet esprit judicieux soupçonnait, qu’il y avait plus d’ostentation que de sincérité dans cette invention des Carnéade et des Métrodore. Ce qui est assez frappant, c’est que le rhéteur romain n’est pas loin de proposer une série de signes ou d’images qui aurait de grandes ressemblances avec les figures tracées sur les tablettes des medas. Il dit : « Est-ce de la guerre que vous avez à parler ? prenez pour signe une épée ; est-ce de la navigation ? choisissez une ancre. » Or c’est précisément ce qu’ont fait les medas.

La société du Wabeno fait également un grand usage des signes pictographiques. Cette société, formée sur le modèle de celle des medas, en est une mauvaise contrefaçons Les affiliés semblent se proposer comme but principal de se livrer à des divertissemens tumultueux ; ils ne se réunissent que la nuit, et ils prolongent leurs orgies jusqu’au retour de la lumière. C’est même de cette dernière circonstance qu’est tiré le nom de leur association, car wabeno signifie l’aube du jour. Certaines de leurs invocations ressemblent à celles des medas. L’ordre des cérémonies est également indiqué par une série de simulacres cabalistiques. Chacune de ces figures correspond à un couplet qui doit être chanté, à une formule qui doit être prononcée. Rien n’égale la simplicité avec laquelle le sens métaphoriques est exprimé. Une simple ligne ondulée qui vient aboutir aux oreilles signifie l’attention. Un cercle tracé autour de l’estomac désigne l’abondance des vivres. Pour dire qu’un homme peut faire pleuvoir quand il le veut, on n’a qu’à le peindre avec un bassin sur la tête. Un cercle tracé autour du front marque l’inspiration céleste, ou le don de communiquer avec les esprits.

Au groupe des magiciens appartiennent encore les jeesukas, qui se prétendent inspirés par le grand-esprit ou par les génies. Les devins ainsi désignés ont des visions mystérieuses pendant lesquelles des êtres fantastiques leur apparaissent et leur révèlent les événemens qui doivent arriver. Ces apparitions sont très diverses, et chaque jeesuka raconte les siennes à sa manière. Qu’il y ait souvent de la fraude et du charlatanisme dans ces prétendus prophètes, je l’admets volontiers. Il s’en trouve sans doute qui spéculent sur la crédulité populaire et qui ressemblent à ces augures de l’ancienne Rome qui ne pouvaient pas se regarder sans rire. Il y en a cependant qui sont dupes d’eux-mêmes et qui éprouvent de véritables hallucinations. Nous citerons l’exemple de Catherine Wabose, qui, après avoir joué pendant près de trente ans le rôle de prophétesse, s’est convertie au christianisme. Elle appartient à la tribu des Algonquins, et a longtemps joui parmi eux d’un grand crédit. M. Henri Schoolcraft, qui parle le dialecte algonquin, s’est entretenu fréquemment avec elle. Il a pu s’assurer qu’elle est douée d’une intelligence et d’une sagacité peu communes. Il a obtenu d’elle la révélation sincère et complète