Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terribles mystères de la vie du harem ? — Ainsi parlerais-je aux chefs de famille ; mais que répondraient-ils ? Je me souviens malheureusement d’avoir tenu ce langage à plus d’un bey de l’Arabistan sans avoir jamais provoqué chez ces dignes personnages d’autres réflexions que celle-ci : C’est possible ; mais, si cela était, qu’y faire ? — Sans prétendre répondre à cette dernière question, je vais du moins essayer de leur prouver que cela est.

J’étais arrivée dans une ville de la Syrie que je crois inutile de nommer. J’avais reçu la plus splendide hospitalité dans le harem du pacha qui commandait la province. Au bout de quelques jours, l’épouse favorite du gouverneur me fit part d’une invitation qu’elle avait reçue pour moi de la femme d’un autre pacha établi dans une belle maison de campagne à quelques lieues de la ville. On l’engageait à venir avec ses hôtes étrangers y passer quelques jours, et je compris qu’un refus serait considéré comme une offense. J’acceptai donc, et dès le lendemain nous nous trouvâmes installées dans un palais vraiment féerique, au milieu de toutes les splendeurs qui donnent au luxe oriental un caractère si étrange et si charmant. Parmi les femmes qui peuplaient cette délicieuse demeure, il en était une qu’un assez long séjour en Europe avait familiarisée avec nos mœurs. Elle avait appris le français, l’italien, l’anglais ; elle avait en outre acquis et conservé la précieuse habitude de la lecture, qui la préservait de cette torpeur si funeste aux facultés intellectuelles de ses compatriotes. Je me liai avec cette femme, qu’on me permettra de surnommer l’Européenne, plus aisément qu’avec les autres maîtresses de la maison. Sachant moi-même le turc, pouvant contrôler les informations de ma nouvelle amie par mes propres observations, je n’eus pas de peine à recueillir sur le régime du harem et sur le caractère des femmes qui l’habitaient quelques notions que le hasard devait bientôt compléter.

Ce harem, d’aspect si magnifique, était en réalité un triste séjour. Il était soumis à un régime d’une rigueur tout exceptionnelle. Aucun des adoucissemens introduits par le temps et la fréquentation des étrangers dans les harems des seigneurs de la capitale n’y avait pénétré. On n’admettait que rarement et en petit nombre les dames du voisinage. Quant aux maîtresses de la maison, elles n’étaient autorisées ni à parcourir les bazars, ni à se rendre aux bains publics, ni à faire aucune de ces excursions à la campagne qui sont la principale distraction des femmes turques en général.

Voilà pour la vie du harem : que dire maintenant des habitantes ? Celle dont j’ai parlé était une parente du pacha, mais deux personnes plus influentes qu’elle y figuraient, et je dois nommer d’abord la première femme de mon hôte, Zobeïdeh. C’était une Circassienne