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pur sang, aux traits fins et délicats, aux formes grêles, mais pures et gracieuses. Il régnait sur cette pâle physionomie une expression de tristesse sombre et presque désespérée qui, à première vue, attira toute mon attention. Zobeïdeh n’était plus jeune, mais l’âge ne se trahissait guère en elle, et un feu intérieur lui conservait une énergie toute juvénile. Le caractère capricieux et fantasque de cette femme ne démentait pas l’expression de sa physionomie. Tantôt on l’entendait murmurer de ferventes prières, tantôt on assistait à des scènes bruyantes, à des accès de désespoir causés soit par le soupçon de quelque infidélité présente ou future du mari, soit par le souvenir d’une infidélité passée. Ce mari, ce maître souverain dont je n’ai rien dit encore, n’était guère fait cependant pour inspirer l’amour. Il avait cinquante ans environ, et à le voir grisonnant et chauve, le dos voûté, le visage sillonné de rides, on lui en eût bien donné soixante-dix. Quel qu’il fût pourtant, Zobeïdeh voyait toujours en lui l’époux des premières années, et je ne pouvais l’entendre parler sans surprise des avantages extérieurs, de l’incomparable beauté d’Osman-Pacha.

Tous les enfans qui peuplaient le harem étaient nés de Zobeïdeh, à l’exception de deux petites filles. La mère de l’une, magnifique Géorgienne, était morte en lui donnant la vie quelques années auparavant. L’autre, née de la seconde femme du pacha, était l’objet de la tendresse passionnée de Zobeïdeh, qui se montrait au contraire singulièrement avare de caresses et de flatteries pour ses propres enfans. La femme dont Zobeïdeh traitait si tendrement la fille était plus jeune, mais beaucoup moins belle que la pâle et ardente Circassienne. Vieillie par la souffrance, elle n’avait gardé de son ancienne beauté qu’une expression de douceur ineffable. Elle avait eu plusieurs enfans et les avait tous perdus, à l’exception de celui qu’elle semblait abandonner à peu près entièrement aux soins affectueux de Zobeïdeh. Était-ce volontairement qu’elle confiait sa fille aux caresses expansives de cette seconde mère ? On aurait pu en douter, car, chaque fois que Zobeïdeh prenait l’enfant dans ses bras, les traits de la véritable mère se contractaient passagèrement, et on pouvait y lire un effroi comparable à celui d’une femme qui verrait son enfant enlevé dans la gueule d’un tigre. Cet effroi n’était que fugitif cependant, et faisait place à la résignation douloureuse qu’exprimaient d’ordinaire les traits de la compagne de Zobeïdeh.

Un soir que nous étions toutes assises sur des coussins, autour d’un mangar (sorte de petit fourneau), fumant, buvant du café et causant, la conversation vint à tomber sur la fille d’un bey des environs, dont on vantait fort la rare beauté. Zobeïdeh poussa aussitôt