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autre chose. Elle se jeta aux pieds d’Osman, les baisa mille fois, quoi qu’il fît pour l’en empêcher, et protesta qu’une vie tout entière de la plus complète soumission à ses désirs ne suffirait pas à l’acquitter envers lui. Osman fut profondément touché de cette joie naïve, et ce qui n’avait été jusque-là qu’une fantaisie devint, à partir de ce jour, une affection véritable.

Qu’avait donc gagné Zobeïdeh ? Moins que rien ; mais elle reconnut bientôt qu’elle avait autre chose à craindre que l’inconstance et l’infidélité de son époux. Zobeïdeh s’était flattée qu’il ne prendrait pas l’accident arrivé à Ada assez à cœur pour en rechercher la cause. Elle s’était trompée, et, le premier moment d’émotion passé, le bey commença à s’enquérir de la manière dont tant de fraîcheur avait disparu aussi subitement. Il en parla à Ada elle-même, qui avait bien conçu quelques soupçons, mais qui n’avait pas osé s’en expliquer avant que le seigneur l’y eût invitée. La pauvre enfant était sans doute fort intéressante, mais la prudence n’était pas sa vertu capitale, et elle commit la faute de communiquer ses soupçons à quelques-unes de ses esclaves, si bien que Zobeïdeh en fut instruite ! Des paroles menaçantes échappèrent même à la jeune favorite, et un matin Zobeïdeh vit Maléka entrer fort émue dans sa chambre. — Chère sœur, lui dit la seconde femme d’Osman, je n’ai pas oublié les étranges confidences que tu m’as faites un jour, mais je suis persuadée que l’idée de nuire à cette pauvre Ada n’a fait que traverser ton âme. C’est pleinement convaincue de ton innocence que je viens te dire qu’Ada te soupçonne. Évite donc de fournir des armes à ta rivale en répétant devant d’autres les imprudentes paroles que tu n’as pas craint de prononcer devant moi. — A cet avertissement amical Zobeïdeh répondit par les plus vifs remercîmens. Avec la dissimulation qui est le triste privilège des natures criminelles, elle protesta de son innocence, et assura qu’elle n’aurait jamais eu le barbare courage d’exécuter les menaces proférées dans un moment de désespoir. Maléka se retira, laissant Zobeïdeh calme en apparence, mais en réalité livrée à de terribles angoisses.

Comment pouvait-elle s’arrêter en effet sur la pente où une odieuse tentative l’avait placée ? Il fallait se défendre, se sauver à tout prix, et le même acte qui écarterait d’elle tout danger la délivrerait d’une rivale détestée. Zobeïdeh se félicitait presque d’être ramenée par la nécessité à sa première et criminelle pensée. Ce n’était plus la beauté d’Ada, c’était sa vie même qu’il lui fallait. La vieille esclave fut en un instant mandée près de sa maîtresse. Zobeïdeh n’eut pas de peine à lui faire comprendre le danger que les soupçons d’Ada leur faisaient courir à toutes deux. La mort d’Ada, une mort prompte, la mort par le poison, pouvait seule prévenir leur perte. L’esclave grecque promit de nouveau le concours de sa