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Zobeïdeh, prise d’un frisson convulsif, fut emportée loin de sa première victime.


III. — SHEMSEH.

Avant de juger Zobeïdeh, qu’on veuille bien réfléchir aux influences pernicieuses qui de bonne heure avaient pesé sur la jeune Circassienne. Quel but avait-on assigné à sa vie ? Plaire à un maître, occuper la première place dans son affection, disputer ce haut rang à toutes les rivales que le caprice pourrait lui donner, telle avait été la préoccupation de la jeune fille même avant de connaître Osman. Elle l’avait vu enfin, ce maître, et elle l’avait aimé. La famille musulmane est malheureusement ainsi faite qu’une femme est forcée d’y lutter sans cesse d’habileté ou de séduction avec des compagnes souvent trop nombreuses. Si cette lutte amène quelquefois de tragiques conflits, faut-il s’en étonner ?

Zobeïdeh oublia bien vite sa maladie pour ne songer qu’à Osman. Le bey ne put être insensible à ces preuves d’un amour sincère, et les soupçons qu’il avait conçus près du lit de mort d’Ada se dissipèrent, sans pourtant qu’il parût avoir retrouvé son calme et sa gaieté d’autrefois. Zobeïdeh souffrante voyait approcher l’époque de ses couches ; elle profita des rares momens où ses souffrances lui laissaient quelque énergie pour éloigner les esclaves jeunes et jolies du harem et les remplacer par des femmes vieilles et laides. Le bey s’amusa plutôt qu’il ne se dépita de ce remaniement ; il protesta seulement, dans l’intérêt du service de sa maison, contre l’exclusion des jeunes esclaves, et Zobeïdeh crut devoir admettre dans le harem réformé quelques filles dont la laideur adolescente ne lui inspirait aucun ombrage.

Quelques semaines se passèrent, et Zobeïdeh mit au monde, au milieu d’horribles souffrances, un petit être chétif, qui semblait n’être né que pour mourir. Elle-même fut prise aussitôt d’une fièvre nerveuse qui la retint dans sa chambre, où les visites du bey devinrent de moins en moins fréquentes. Cette insouciance d’Osman révélait une nouvelle infidélité. Tant qu’elle fut souffrante, Zobeïdeh ne parut pas s’en apercevoir. Rétablie enfin, elle fit un jour demander un entretien à Maléka, qui se rendit aussitôt près d’elle.

— Que se passe-t-il ici ? dit-elle à Maléka. Pourquoi évites-tu de demeurer seule auprès de moi ? Pourquoi Osman vient-il me voir si rarement, et pourquoi m apporte-t-il, quand il vient, un visage si singulier, ce demi-sourire et ce regard troublé ? Qu’y a-t-il ? Parle-moi franchement ; ce mystère est plus terrible que tout, car mes craintes ne connaissent pas de bornes. Qu’y a-t-il ?