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Lorsqu’à force d’éliminations, de caresses et de présens, Ombrelle se crut assurée de la fidélité ou de la complaisance de ses gardiens et gardiennes, elle dirigea ses promenades dans les quartiers les plus fréquentés de la ville. Le voile dont se couvrent les femmes turques de Constantinople a son langage, et ne le cède en rien ni à l’éventail des Espagnoles, ni au zendale des Vénitiennes. L’habitante du harem sait comment faire entendre au jeune homme qu’elle rencontre qu’il lui serait agréable de commencer avec lui une intrigue galante. L’une des suivantes d’Ombrelle se chargea d’apprendre à sa maîtresse ce facile dictionnaire, étude pour laquelle la favorite n’était que trop bien disposée. Les musulmans, habitués aux faciles amours du harem, ne se lancent guère dans les aventures ; mais une moitié de la population de Stamboul est chrétienne, et cette moitié renferme un grand nombre de jeunes Européens dont la principale affaire est précisément d’apprendre comment se mènent les intrigues amoureuses en Turquie.

Un jour Ombrelle, en dépit de son cortège, fut abordée par un de ces Européens plus hardi ou plus désœuvré que les autres, qui lui demanda en mauvais grec si elle portait toujours « ce voile, receleur impitoyable de tant d’attraits. » Ombrelle n’entendit guère ce compliment, mais une de ses suivantes s’étant empressée de le lui traduire, la favorite, fort peu accoutumée aux phrases galantes, chargea l’interprète de répondre naïvement à l’Européen qu’elle ne portait son voile que dans la rue. Le jeune homme trouva la dame un peu sotte, et Ombrelle se dit que l’audacieux questionneur pouvait bien être fou. L’aventure ne fut pas poussée plus loin ; l’Européen avait le malheur de ressembler à Osman, et ce n’est pas une telle ressemblance qu’Ombrelle eût voulu trouver dans un amant.

Quelques jours s’étant passés, Ombrelle fut rencontrée dans une boutique de parfumeur par un autre Européen dont la physionomie offrait le plus parfait contraste avec celle du bey. Il était blond, et l’ensemble de ses traits annonçait une origine septentrionale. Ombrelle remarqua cette fois le bel inconnu, et celui-ci comprit sans peine qu’il avait attiré son attention. Le jeune Franc, qu’il nous suffira de désigner sous le nom d’Oswald, s’approcha de la favorite. — Combien d’hommes envieraient ce regard, dit-il à voix basse en fort mauvais turc, — ce regard qui pourtant m’a ravi la tranquillité et le repos !

Ombrelle comprit sans beaucoup de peine qu’on lui adressait une déclaration d’amour : elle garda le silence, mais la rougeur qui se répandit sur son visage était significative. Oswald crut alors pouvoir hasarder quelques phrases où se succédaient, dans un singulier pêle-mêle, des mots français affublés d’une terminaison turque. Les idées qu’il essayait de traduire n’étaient guère plus intelligibles