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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

mettre tant qu’ils le verront dans les fers, » et il lui propose comme gage de son retour Photos, son fils unique. À peine arrivé à Souli, Tsavellas convoque l’assemblée des chefs de la république, les exhorte à combattre jusqu’au dernier soupir, et fait tramer en longueur ses négociations avec Ali. Lorsque tout est prêt pour la défense, il écrit au pacha : « Ali, je me réjouis d’avoir trompé un trompeur. Je suis disposé à défendre mon pays contre un brigand. Mon fils est voué à la mort, mais je le vengerai d’une manière terrible. Si nous sommes vainqueurs, — et Dieu bénira nos armes, — j’aurai d’autres enfans, car ma femme est encore jeune. Avance donc, si tu l’oses, traître, car j’ai soif de vengeance et suis ton ennemi juré. »

Ali, mettant un frein à sa fureur, envoie Photos prisonnier à Janina. Résolu d’anéantir les Souliotes, il dirige ses troupes vers les défilés, en promettant 500 bourses à celui de ses soldats qui entrerait avant les autres dans Kako-Souli. Le premier feu des montagnards est si terrible, qu’il porte la mort dans les rangs des musulmans ; mais les exhortations et les promesses d’Ali les excitent tellement qu’ils marchent en avant sous une grêle de balles. Déjà retentissent des cris de détresse dans la montagne. Les femmes de Souli, intrépides comme toutes les Albanaises, comprennent la grandeur du péril. En Epire, de même que chez les Serbes du Tsernogore, une femme manie aussi volontiers la carabine que le fuseau. Épouses et filles d’hommes qui considèrent, ainsi que les anciens scandinaves, une mort paisible comme un déshonneur, les Albanaises ont horreur de la servitude et de la dégradation que l’islamisme impose à leur sexe, et préfèrent tous les supplices à la vie indolente du harem. Aussi, quand Mosco, femme de Tsavellas, s’aperçoit que les montagnards plient, elle appelle ses compagnes, se précipite avec elles au milieu de la mêlée, et, l’œil en feu, les cheveux épars, elle fait honte aux chrétiens d’un moment de faiblesse, et les décide à vaincre ou à mourir. Tous, hommes et femmes, animés par la voix de l’héroïne, saisissent des quartiers de rochers et les font rouler sur les assaillans. Le centre de l’armée d’Ali est rompu, et tandis que la garnison de Tichos tombe sur les Turcs qui ont osé gravir la montagne, les Souliotes jettent dans l’Achéron les cadavres des mahométans tués dans la bataille. Ils fondent ensuite sur la réserve d’Ali, qui, saisi d’épouvante, abandonne ses bagages et ses munitions et se prépare à fuir.

En lisant les vers où M. Valaoritis décrit la fuite du pacha vers Janina, on croit voir un agile coursier du désert disposé à dévorer l’espace. Job parle aussi en termes magnifiques d’un cheval de bataille : « Il bondit comme une sauterelle, son fier hennissement imprime la terreur ; du pied il creuse la terre, il s’égaie en sa force, il