Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait facile de citer, soit dans notre siècle, soit dans les siècles précédens, plusieurs noms qui doivent une partie de leur renommée à leur habileté dans cette espèce de travail. Tous les genres sont ouverts d’ailleurs au pastiche : la littérature comme la peinture, la gravure comme la musique. Il est à remarquer seulement que les œuvres qui se prêtent le plus au pastiche sont celles où l’artiste, quel qu’il soit, peintre, musicien ou poète, a imprimé les marques les plus saillantes et en même temps les plus matérielles de son individualité. Il sera facile à un peintre dans un certain sens d’imiter Rembrandt et Rubens ; il sera plus aisé pour un musicien de s’assimiler Verdi que Bellini, et un poète calquera Victor Hugo beaucoup plus sûrement qu’André Chénier. En un mot, toute exubérance de forme, de coloris, d’instrumentation, prête éminemment au pastiche. Cela tient uniquement à ce que l’exagération d’individualité que présentent certains esprits offre des saillies plus en relief, des creux plus accusés, sur lesquels les esprits secondaires et imitateurs trouvent plus de facilité à se mouler que sur un niveau de toutes parts assez égal et assez plat. À cette cause nécessaire et suffisante, l’on peut encore ajouter celle-ci : il est des esprits frères, des tendances pour ainsi dire sœurs qui se manifestent à des intervalles plus ou moins éloignés ou dans des milieux différens. Les nouveau-venus s’emparent alors de l’œuvre aînée, l’étudient, la reconnaissent en quelque sorte pour la leur, et n’ont pas plus de peine à se l’assimiler qu’une graine semée en terre n’en éprouve à devenir une plante semblable à celle qui l’a fournie : ici et là, c’est le même procédé, la même physiologie ; c’est naturellement et sans efforts que l’esprit comme la graine choisissent les mêmes sucs, sécrètent les mêmes substances, enfin accomplissent les mêmes évolutions qu’ont accomplies la plante mère ou l’esprit créateur.

Il peut arriver que le pastiche ne s’applique pas à un génie individuel, mais bien à un génie collectif, quand la collection, par une originalité fortement accusée et surtout persévérante, ou par la continuité des mêmes effets, arrive en quelque sorte à s’individualiser. C’est ainsi que M. Prosper Mérimée a pu, en 1827, donner les morceaux qui composent sa Guzla comme traduits d’originaux illyriens. Il serait puéril de citer comme exemple les poésies d’Ossian. L’œuvre que nous apporte aujourd’hui M. Ch. de Coster[1] rentre dans le pastiche collectif. L’auteur n’a pas eu pour but de reproduire uniquement les joyeusetés rabelaisiennes et les farces des Cent Nouvelles nouvelles, comme l’avait tenté Balzac dans ses Contes drolatiques. Son livre n’est pas un livre de haulte graisse, le sel gaulois y manque un peu ; mais l’absence de la facétie particulière au moyen âge s’y trouve rachetée par le fond du sujet, qui est éminemment national. Flamand, l’auteur a composé des légendes flamandes ; l’objet de son œuvre est essentiellement patriotique. Voici par exemple ce que raconte la dernière légende de M. de Coster. Le forgeron Smetse Smee doit bailler son âme au diable au bout de sept années, pendant lesquelles il doit avoir la plus belle forge de Gand, boire les vins les plus fins et manger les plus fines viandes. Le dernier jour de la septième année arrive, et avec lui l’envoyé du diable, « la gueule bée, tirant

  1. Légendes flamandes, 1 vol. illustré de douze eaux-fortes, collection Hetzel, 1858.