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Mme de Lützow était sa fille ? Les lettres de M. d’Hedemann-Heespen, pleines d’irritation contre M. de Lützow, expriment à l’épouse répudiée une sollicitude toute paternelle. « Que pensera-t-on ? lui demande-t-il. Si M. de Lützow est un homme d’honneur, il est tenu d’épouser sans retard la femme qui l’a éloigné de toi. Alors on saura qu’il a divorcé pour obéir à sa passion. Toute autre conduite de sa part t’expose à des soupçons injurieux. » Mme de Lützow avait l’âme trop fière pour s’inquiéter des jugemens du monde. On lui conseillait de faire consigner dans les actes officiels du divorce les motifs qui avaient dominé son mari ; elle dédaigna tout ce qui aurait eu l’air d’une justification. S’excuser aux yeux du public, c’était se venger de M. de Lützow ; ni l’un ni l’autre parti ne lui parut digne d’elle. Après une année de séjour à Dresde, consolée par les témoignages qu’elle avait reçus et reprenant goût à la vie, elle choisit décidément pour résidence la ville où l’attendaient les affections les plus dévouées. Dès l’automne de 1825, Mme de Lützow était établie à Magdebourg.


III

Qu’est-ce donc qui l’attirait à Magdebourg ? On l’a deviné c’était cette âme loyale qui s’était ouverte sous ses regards aux inspirations de la poésie. Mme de Lützow allait retrouver auprès d’Immermann les plus pures jouissances de l’esprit et du cœur. Qu’on se représente la joie du poète. Celle qu’il contemplait avec ravissement comme un mystique en extase n’était plus séparée de lui par d’éternelles barrières ; à la place de la Béatrice idéale, il y avait une femme qu’il pouvait aimer. L’espoir d’épouser Mme de Lützow lui ouvrait déjà une nouvelle vie. Ne se sentait-il pas aimé ? n’était-ce pas à lui qu’elle avait pensé tout d’abord, auprès de lui qu’elle avait cherché un refuge, dès qu’elle avait pu régler définitivement sa vie ? Et que cherchait-elle à Magdebourg ? Elle ne voulait voir personne. La famille d’Immermann, sa mère, ses frères, c’était là sa seule société. On se demandait quelle était cette dame toujours voilée ; nul ne la connaissait. Elle avait l’intention d’acheter une petite maison de campagne près de la ville, et de vivre là, silencieuse, cachée au monde, tout entière aux pensées de la solitude et aux consolations de l’amitié. Ce qu’elle éprouvait pour Immermann, n’était-ce donc qu’une amitié ordinaire ? Oh ! non, se disait le poète, elle m’aime. Une âme comme la sienne ne se laisse pas prendre aux misérables vanités du bel-esprit. Ce ne sont pas mes vers, ce ne sont pas mes romans et mes drames qui l’ont attirée près de moi ; elle m’aime, et elle portera mon nom.