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Il y avait pourtant des bizarreries singulières, des épisodes inexplicables dans la vie de Mme de Lützow. Une fois installée à Magdebourg, elle avait fait venir de Hambourg une jeune fille qui devait lui servir de dame de compagnie, et qu’elle traitait comme son enfant. C’était une douce et gracieuse créature, dans la fleur de la première jeunesse, et l’on ne tarda pas à découvrir une certaine ressemblance entre les traits de ce visage enfantin et ceux de la noble personne qui lui témoignait l’affection d’une mère. Qui était cette jeune fille ? D’où venait-elle ? N’y avait-il pas là quelque mystérieuse aventure ? La curiosité publique était vivement excitée, car toutes les précautions de Mme de Lützow n’avaient pas réussi à dérober son nom aux habitans de Magdebourg ; on savait que la solitaire voilée, l’amie du poète Charles Immermann, était la femme de l’illustre chef des corps francs de 1813, celle dont le divorce récent avait ému la société prussienne. Qu’était donc cette jeune fille qui était venue subitement la trouver dans sa retraite, et dont elle semblait reprendre possession après une longue absence ? Maintes conjectures, on le pense bien, couraient de bouche en bouche. Il fut admis bientôt que la jeune compagne de Mme de Lützow était sa fille, une fille qu’elle avait eue avant son mariage, et que la découverte de ce secret avait amené nécessairement un divorce. Si ceux qui tenaient de tels propos avaient pu lire les lettres de Mme de Lützow, ils auraient été bien honteux de leurs inventions. M. de Lützow continuait d’écrire à sa femme, et l’une de ses lettres contient ces mots : « Que tu es bonne d’avoir accueilli cette jeune fille avec tant de générosité ! Ah ! tu es bien toujours la même ; au moment où tu aurais besoin d’aide et d’appui, tu mets ta consolation à venir au secours des autres. » Cette jeune fille lui tenait de bien près, mais par des liens qu’elle ne pouvait avouer. La sœur de Marianne Philippi, sa gouvernante et son amie, qui avait été chargée de la direction du ménage au château de Trannkijör, avait succombé aux séductions de M. le comte d’Ahlefeldt. La jeune compagne que Mme de Lützow venait de se donner était la fille de son propre père. Elle avait promis à Marianne Philippi de se charger de cette enfant, et, dès qu’elle avait pu le faire, elle avait tenu parole. Elle fit plus, elle garda fidèlement le secret de cette histoire, aimant mieux s’exposer à des interprétations calomnieuses que de compromettre le nom de sa gouvernante et de paraître jeter un blâme sur la conduite de son père.

Ces détails ne furent connus que beaucoup plus tard, et la médisance eut tout le temps de se donner carrière. Immermann, on le comprend, fut bien plus troublé que son amie de ces chuchotement indiscrets. Il n’était pas dans la confidence ; Mme de Lützow avait cru