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Immermann, M. de Lützow verra là une vengeance qui le jettera dans le désespoir ; si je repousse sa demande, Immermann sera malheureux. Immermann est le plus fort : à lui de souffrir en homme et de chanter sa souffrance en poète.


V

Cette souffrance, elle l’avait adoucie, on l’a vu, avec une singulière audace, habitant sous le toit du poète, liant avec lui une de ces amitiés hardies et chastes comme on n’en rencontre guère que chez ces races aimantes et spiritualistes des contrées du Nord. Et cependant pouvait-on dire, en parlant d’elle, ce qu’un de nos poètes a si bien dit de Mme Récamier :

</poem>Elle est trouvée enfin la Psyché sans blessure ?</poem>


N’est-elle pas blessée, elle aussi ? N’est-elle pas une victime sans cesse immolée dans ce drame secret de la conscience ? Son cœur n’a-t-il pas ressenti ce que le sacrifice a de plus cruel ? Cet amour qu’elle ne peut ni repousser ni accueillir, que de soins, quel art ingénieux pour l’apaiser à toute heure ? J’emprunte à ce même chanteur délicat et profond des paroles subtilement voilées qui semblent écrites pour la comtesse d’Ahlefeldt :

Que de fatigue aussi, de soins (si l’on y pense),
Que d’angoisses pour prix de tant d’heureux concerts,
Triomphante beauté que l’on voit qui s’avance
D’une conque facile à la crête des mers !

L’océan qui se courbe a plus d’un monstre humide,
Qu’il lance et revomit en un soudain moment.
Quel sceptre, que d’efforts, ô mortelle et timide,
Pour tout faire à vos pieds écumer mollement !

Ces lions qu’imprudente elle irrite, elle ignore,
Dans le cirque, d’un geste, il faut les apaiser.


Oui, ces passions ardentes, monstres de la mer ou lions du cirque, il fallait la pure sérénité de son âme pour les dompter autour d’elle. À l’époux repenti et désolé, elle offrait en exemple son propre sacrifice ; à l’amant, elle ouvrait les régions de l’idéal. Cette activité littéraire déployée par Immermann pendant toute cette période, c’était Mme d’Ahlefeldt qui l’entretenait. L’ardeur créatrice du poète était pour elle une joie et un besoin. Elle veillait, comme une vestale, auprès du feu sacré.

Ces lectures, ces essais de régénération dramatique, cette vie