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la France : ces écrits sont remplis d’assertions trop faciles à réfuter. Mais prenons par exemple la relation d’une de ses plus brillantes victoires, celle de Marengo, relation faite de sang-froid, six ans plus tard, et recommencée trois fois par ses ordres : au lieu de ces deux batailles que tout le monde connaît, la première perdue et la seconde gagnée, nous trouverons une manœuvre impossible, un changement de front inexplicable. Il fallait à tout prix attribuer au vainqueur une sorte d’infaillibilité surhumaine qui, selon nous, n’ajoutait rien à sa gloire. Cet exemple, que nous pourrions multiplier, contient une leçon dont nous devons tenir compte, tout en reconnaissant que le caractère de César ne nous permet pas de le soupçonner d’avoir essentiellement altéré la vérité. Sans aller jusqu’à croire qu’il poussât la candeur au même degré que Turenne, répondant à un indiscret questionneur « qu’il avait perdu par sa faute les batailles de Mariendal et de Rethel, » on ne peut contester que ses récits respirent la sincérité. Et cependant nous croyons qu’il faut faire une distinction entre ceux de la guerre des Gaules et ceux de la guerre civile. Il n’a écrit les derniers qu’après le triomphe et pour la postérité ; il y parlait d’ailleurs d’événemens auxquels Rome entière avait en quelque sorte assisté, et ses omissions, ses erreurs volontaires ou involontaires auraient trouvé plus d’un contradicteur. Les Commentaires de la guerre des Gaules étaient composés dans des circonstances toutes différentes et pour un tout autre but.

Le théâtre sur lequel César travaillait à fonder sa réputation militaire avait été fort habilement choisi : il ne s’éloignait pas trop de l’Italie, et la guerre qu’il y soutenait était éminemment populaire à Rome. On n’avait pas oublié que Brennus était venu jusqu’au Capitole, et les succès de l’heureux proconsul paraissaient plus qu’une revanche, « La guerre gauloise, disait-on. César seul l’a faite ; avant lui, on s’était borné à la repousser. Marius lui-même avait uniquement réprimé les tentatives de ces barbares ; il n’avait pas pénétré jusqu’à leurs villes et à leurs demeures. Grâce à César, le plus grand péril qui pût menacer l’Italie est aujourd’hui conjuré[1]. » Les bulletins envoyés par le conquérant, sous la forme de lettres au sénat, produisaient sur le Forum un effet immense que ses largesses ne contribuaient pas peu à augmenter, et que ses Commentaires étaient destinés à renouveler et à confirmer. Il paraît certain qu’ils furent écrits pendant la dernière année de son commandement en Gaule ; c’était une des armes qu’il forgeait pour la guerre civile. Il n’avait pas à craindre la contradiction de ses adversaires, car les Gaulois n’avaient guère moyen de faire entendre leur voix à Rome. Et parmi les Romains, qui aurait pu lui répondre ? Caton et ses amis pou-

  1. Cicero., De Prov. consul.