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l’unité politique de l’empire et l’abolition du dualisme qui avait existé jusqu’en 1848; mais les moyens dont il s’est servi pour y parvenir nous paraissent avoir été directement contraires au but. Pour établir cette unité avec quelque chance de durée, il ne faut pas lui donner pour seules bases des ordonnances et des lois provisoires; il importe de la maintenir autrement que par la force et par une bureaucratie détestée : il faut qu’elle prenne racine dans l’opinion publique en se rattachant à l’idée des avantages incontestables qui en peuvent résulter pour la nation. En un mot, pour que l’unité politique dure, il faut la rendre populaire. Jusqu’ici malheureusement elle ne rappelle au peuple que des idées d’impôts triplés, de déficits croissans, de vexations bureaucratiques.

Ce serait en donnant au pays des institutions libérales, en lui accordant une juste participation aux affaires publiques, que le gouvernement amortirait d’un seul coup les passions anti-unionistes, et rendrait populaire dans la nation l’idée de l’unité politique, qui ne peut être fondée solidement que sur la base d’une représentation nationale; bis dat qui cito dat. Il devient de jour en jour plus difficile d’exclure certaines classes de la société de toute participation aux affaires publiques, et il est doublement impossible de le faire là où cette participation a déjà existé. Il peut y avoir des momens d’arrêt; mais, ces momens passés, il faut que tout reprenne sa marche habituelle. Il y a des pays où de tels momens peuvent se prolonger sous l’influence d’un certain indifférentisme politique et d’un développement inattendu de prospérité matérielle. L’Autriche ne se trouve point dans ce cas : l’indifférentisme politique a été refoulé par une profonde irritation contre le nouveau système administratif; la prospérité matérielle n’a été que trop entravée par les difficultés intérieures et les embarras financiers du gouvernement. La passion de l’indépendance provinciale, l’aversion contrôle régime bureaucratique, restent toujours les passions prédominantes du pays, et, comme dans tout esprit de réaction, c’est plutôt l’excès qui est ici à craindre. Depuis 1848, le cabinet de Vienne n’est point parvenu à calmer les esprits, et il serait peut-être prudent d’y songer, car le gouvernement le plus fort n’est pas maître de l’avenir.


G. DE MÜLLER.

Vienne, 1858.