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souffrais profondément lorsque quelque incident venait les interrompre. Quelquefois aussi il me semblait que j’entretenais des communications spirituelles avec la bienheureuse Marie et avec le saint ange Gabriel, qui lui annonça qu’elle serait la mère du Rédempteur. Jamais je n’étais moins seul que lorsque j’étais seul. Je ne raisonnais pas ces rêves. Tout cela me semblait réel, et je jouissais souvent d’un bonheur inexprimable. Je préférais la solitude, car alors je pouvais goûter les douceurs de la méditation silencieuse et sentir que j’étais en présence de Jésus, de Marie et des saints anges ; cependant je n’avais pas été baptisé, et je n’avais guère d’autre instruction que celle que m’avait donnée la lecture des saintes Écritures. »


À l’âge de quatorze ans, M. Brownson était donc chrétien de cœur, mais point de fait, n’ayant pas encore reçu le baptême. À cette époque, on lui parla vaguement de la nécessité de la religion, et on lui insinua qu’il devait s’attacher à une église. Mais à quelle secte s’adresser ? Le choix était embarrassant. Il y en avait autour de lui de toute dénomination, d’anciennes et de nouvelles, les unes vieilles de trois siècles, les autres toutes jeunes, et qui dataient de la première année du siècle. Pendant quelque temps, le jeune Brownson assista à leurs réunions ; mais il ne put reconnaître entre elles aucune différence essentielle, si ce n’est que les ministres méthodistes l’emportaient par la force des poumons sur les ministres des autres églises, et s’entendaient mieux aussi à faire vociférer leur auditoire. Malgré ses répugnances bien naturelles pour cette dévotion d’énergumènes, il se serait rendu aux méthodistes, tant étaient grandes ses perplexités, sans les conseils d’une vieille puritaine fervente qui l’engagea à s’écarter des sectes de nouvelle création. La bonne femme croyait sincèrement que l’église à laquelle elle appartenait existait depuis le Christ. M. Brownson suivit son conseil, et par un beau jour de septembre, les influences d’une nature sereine et d’un ciel pur se mêlant à ses émotions religieuses, il entra dans une chapelle presbytérienne. Puisqu’il devait adopter une croyance, pourquoi pas celle-là ? La doctrine presbytérienne est très chrétienne, très austère ; on ne peut nier que dans son organisation ecclésiastique le presbytérianisme ne présente quelques traits de ressemblance avec l’église primitive. Pourquoi cette église ne serait-elle pas celle qui existe depuis le Christ, celle que recommandait à M. Brownson la pieuse puritaine ? D’ailleurs M. Brownson était fatigué de chercher, désespéré de rester dans son isolement moral. Sans hésiter, il adopta l’église presbytérienne ; mais ce fut moins par conviction que pour se rapprocher de ses semblables et mettre fin à la solitude dans laquelle il vivait. Sa première conversion fut donc, si l’on peut parler ainsi, une affaire de sociabilité. Elle fut le résultat du besoin d’épanchement et de confiance qui s’éveille en