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surmonter. Il n’était pas catholique tant qu’il ne se serait pas prosterné devant l’église visible, et qu’il n’aurait pas incliné sa raison sous l’autorité de ses pasteurs. Puisque, selon la découverte qu’il devait à sa logique, l’église était par la succession apostolique en communion avec le Christ, ce n’était que par l’intermédiaire de cette église qu’il pourrait à son tour participer à cette sainte communion. Maintenant il avait la lumière, il lui fallait la vie, et la vie était cette communion avec le Christ par l’église, avec Dieu par le Christ. Il n’hésita pas. Il abjura entre les mains de M. Fitzgerald, évêque de Boston, et fut reçu au sein de l’église le 20 octobre 1844. Depuis, il est toujours resté fidèle à ses nouvelles convictions, et il a défendu de toutes les forces de son intelligence l’église qu’il a librement choisie.

Le vieil homme se réveillera-t-il en lui? Non. Selon toute probabilité, cette conversion est bien définitive. Non-seulement dans le catholicisme il a trouvé ce qu’il avait si longtemps cherché, et avec un zèle si mal dirigé : une foi religieuse; mais son esprit y a trouvé un système complet, une explication de tous les problèmes qui intéressent l’humanité. Or ce qui lui a manqué toute sa vie, c’est un système qui lui permît d’embrasser simultanément les diverses idées qui composent le monde moral. L’absence d’un système a été la source de toutes ses erreurs. Maintenant son esprit est probablement en repos pour jamais. Comment pourrait-il croire à l’importance des droits de la femme ou à d’autres théories semblables après avoir vécu depuis plus de dix années au sein de l’unité catholique? Comment pourrait-il avoir la fantaisie de dévouer sa vie à quelque chétive idée socialiste, lorsque l’œil de son esprit peut parcourir d’un même regard toutes les idées qui ont agité le genre humain? dans la doctrine catholique, M. Brownson possède non-seulement les consolations de la loi, mais la plus magnifique synthèse philosophique qui ait été trouvée; car l’église catholique n’a pas eu besoin d’attendre l’arrivée de Hegel pour appliquer sa méthode logique, et pour reconnaître que les idées peuvent être contradictoires sans être contraires. Et maintenant nous ferons appel au sentiment de M. Brownson : s’il est reconnaissant autant qu’il est heureux, et charitable autant qu’il est fervent, il adressera chaque jour ses prières à Dieu pour implorer la conversion d’un frère égaré, et encore plongé, selon toute probabilité, dans son endurcissement. Qu’il invoque Dieu pour la conversion de M. Pierre Leroux, car sans ce philosophe et sa théorie sur l’objet et le sujet, il était perdu irrévocablement. Il doit son salut à un panthéiste : puisse ce panthéiste lui devoir le sien à son tour!


EMILE MONTEGUT.