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de chaque document. Nos richesses en fait de manuscrits slaves ne sont malheureusement pas considérables, et ceci ne doit pas être entendu par rapport à ce que possède la Russie, mais en comparaison de ce que nous avions autrefois. Montfaucon, dans sa Bibliotheca bibliothecarum manuscriptorum, donne la liste de quarante-cinq codices slavici portés sur le catalogue de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, et qui aujourd’hui ont disparu sans que l’on ait pu en retrouver la trace. Cependant, malgré son infériorité sur ce point vis-à-vis de la Russie, la France l’emporte sur l’Allemagne.

L’idiome dans lequel la majeure partie de nos manuscrits est tracée est celui qui a été employé dans la version de la Bible, des livres liturgiques et des saints pères, et qui s’est propagé chez tous les peuples de la même souche : c’est le slave ancien, ou patéoslare. Devenu la langue de l’église et de la science, cet idiome obtint facilement sur les dialectes congénères une suprématie qui se maintint depuis le IXe siècle jusqu’au-delà du XIIIe, et qui, imprimant aux productions de la littérature ecclésiastique un cachet d’uniformité, contribua à la diffusion universelle du paléoslave. Toutefois les manuscrits qui nous restent ne nous le présentent point dans sa pureté parfaite et primitive ; la plupart trahissent l’empreinte d’influences locales et portent les traces plus ou moins visibles d’élémens empruntés au bulgare, au serbe, au russe, etc. L’action des dialectes vivans sur la langue écrite, passée bientôt à l’état de langue immuable et morte, est évidente, et peut être suivie d’âge en âge. Plus ces monumens remontent haut, plus ils montrent le paléoslave dégagé de tout alliage. Les variations orthographiques occasionnées par ces causes locales et accidentelles constituent un critérium essentiel pour déterminer l’âge des manuscrits. La règle que l’on en a induite a permis de les ranger en quatre catégories, ayant chacune ses traits distinctifs : paléoslave, bulgare, serbe et russe.

Ces observations s’appliquent exclusivement aux livres en caractères dits cyrilliques, du nom de saint Cyrille, qui, avec Méthode, son frère, fut au IXe siècle l’apôtre des populations de la Boulgarie, de la Moravie et de la Bohême, et qui leur enseigna l’usage de ces caractères, aujourd’hui répandus parmi les Slaves du nord. Une autre sorte d’écriture, dite glagolitique ou hiéronymienne[1], est celle dont se servent les Yougoslaves ou Slaves du sud. L’alphabet cyrillique et le glagolitique séparent les membres de la même famille, qui professent le rite gréco-slave, prédominant en Russie, en Galicie, dans plusieurs contrées de l’Autriche et de la Turquie européenne, et ceux qui ont adopté le rite latino-slave, c’est-à-dire le rite romain, avec l’usage du slavon, en sorte que la langue liturgique de l’une et l’autre église est identique, et qu’il n’y a de différence que dans la forme des lettres. Je laisse ici de côté une fraction considérable des Slaves, les Polonais, parce qu’ils ont adapté à leur idiome, comme on sait, les caractères latins.

Les origines de la glagolitsa sont loin d’être éclairées et restent encore un sujet de controverses. L’illustre auteur des Slavische Alterthümer, M. Schafarik, est celui qui s’est le plus occupé de cette question et qui a le

  1. Ainsi appelée du nom de saint Jérôme, et, suivant l’explication de M. Schafarik, à cause de la ressemblance que l’on remarque dans les rédactions glagolitiques de la Bible et de la Vulgate.