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le pouvoir fédéral, plusieurs, et des plus importans, se préparaient à grossir les rangs de leurs anciens adversaires. Ce fut au moment où ce travail de recomposition et de réorganisation des partis commençait que Jefferson vint prendre à New-York sa place dans le cabinet (21 mars 1790).


II.

Depuis plus d’un mois, les plans financiers du colonel Hamilton, secrétaire du trésor, étaient le sujet d’un violent débat dans le sein du congrès. Jefferson n’en fut que mieux accueilli par le monde politique de New-York : chacun voulut prévenir en sa faveur le nouvel arrivant. La querelle était étrangère à son département, il n’avait pas d’avis sur les points en litige ; il se laissa fêter indistinctement par tous ses amis, usant de coquetterie sans calcul égoïste, peut-être même avec la pensée de rendre de bons offices à son collègue du trésor. Il était trop peu au courant de la situation et trop satisfait du chaleureux empressement que tous les membres du cabinet avaient mis à lui souhaiter la bienvenue pour être en humeur ou en mesure de sentir l’antipathie naturelle qu’il y avait entre ses principes et ceux de Hamilton.

Entré à vingt ans dans l’état-major de Washington, Hamilton s’était formé au milieu des camps, sous la tente du général en chef, dans ces sphères supérieures de la carrière des armes où l’esprit, pour peu qu’il soit grand, s’habitue à voir les événemens de haut et dans leur ensemble, à saisir le lien entre l’organisation des sociétés et le sort des batailles, à combiner les mouvemens des armées avec l’action des pouvoirs publics. Les préoccupations de la guerre l’avaient conduit à celles de la politique ; la passion du bon gouvernement était née en lui de l’impatience de vaincre. En voyant les opérations militaires sans cesse entravées par les conflits d’autorité et les désordres administratifs inhérens au régime fédéral, il avait souvent porté un regard d’envie sur la forte unité et la belle ordonnance des monarchies européennes, et il s’était d’autant moins défendu contre ce sentiment, qu’il savait que les libertés locales étaient impérissables en Amérique. Il n’y avait pas à craindre pour elles que la cohésion des provinces pût jamais devenir trop forte. En poussant le pays dans la voie de l’unité nationale, on pouvait aller jusqu’au bout de ce qui était possible sans tomber dans l’excès. Les penchans naturels du peuple ne suffisaient que trop à le mettre en garde contre les dangers de la centralisation. Hamilton en était convaincu, et il s’était voué sans scrupule à la cause du pouvoir cen-