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tant tant de l’opposition dont Madison était l’organe dans le congrès : il travailla aussitôt à la rendre plus unie et plus contagieuse, à rapprocher ceux de ses chefs que séparait encore le souvenir de leurs dissidences, à lui assurer un instrument de propagande en fournissant à Fréneau, rédacteur de la Gazette nationale, des idées, des nouvelles et un traitement de commis dans les bureaux de la secrétairerie d’état. Sous son habile direction, l’opposition devint en peu de mois un parti, un parti national, capable d’étendre ses conquêtes sur toute la surface des États-Unis. Diverses causes l’avaient empêchée jusque-là d’avoir prise sur la masse flottante des honnêtes gens. L’opposition était anti-fédéraliste d’origine, et les opinions anti-fédéralistes étaient devenues suspectes au peuple américain depuis qu’il avait éprouvé les bienfaits de la constitution. L’opposition ne s’était guère recrutée que dans le midi, et toute lutte géographique alarmait les partisans de l’union ; elle n’avait servi que des intérêts locaux, discuté que des questions techniques, et l’on ne peut remuer profondément la foule qu’avec de grandes idées à la fois vagues et simples, qui n’ont pas besoin d’être pleinement comprises pour frapper les imaginations, ou avec de gros mots exagérés et violens qui parlent aux passions et se commentent d’eux-mêmes.

Le plus grand service que Jefferson rendit à l’opposition, ce fut de lui trouver un principe à représenter et des inquiétudes populaires à exploiter. En lui donnant le nom de parti républicain, il lui donna un drapeau et un cri de guerre. La nation tout entière était républicaine, si républicaine que la république aurait pu se passer de défenseurs. « Parmi ceux dont l’opinion vaut quelque chose, il n’y a pas, disait Washington, dix hommes qui songent à transformer le gouvernement en monarchie. » C’est malheureusement l’un des caractères des sociétés démocratiques d’être toujours disposées à se croire menacées, et c’est un titre à la confiance des masses que de donner raison à leurs soupçons, de spéculer sur leur crédulité. Par le nom seul que s’arrogeait l’opposition, elle évoquait sans cesse devant le public le fantôme de la monarchie. — Si des hommes aussi modérés que Madison croyaient devoir se déclarer hautement républicains, leurs adversaires ne pouvaient être que des royalistes et des aristocrates ; l’administration devait nécessairement être engagée dans quelque sinistre complot contre les institutions du pays. Ainsi s’expliquait enfin ce qu’on remarquait depuis quelque temps de suspect dans les allures du gouvernement : le vice-président John Adams se prélassant comme un prince dans une voiture à six chevaux ; Mme Washington saluée lors de son entrée à New-York par une salve de treize coups de canon ; le palais de la présidence et ce luxe, cette étiquette qui le faisaient ressembler à Versailles, les laquais en livrée.