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propre bien, à ne songer qu’à eux-mêmes ; elle ne leur demandait que d’être heureux, prospères et libres. — Ces maladroites exagérations laissèrent le président froid et soupçonneux, mais elles émurent profondément le secrétaire d’état, qui, dans sa passion pour M. Genêt, écrivait sérieusement à Madison : « On ne peut rien imaginer de plus affectueux et de plus magnanime que sa mission….. Il offre tout, il ne demande rien, et pourtant ses offres seront rejetées. Mon cher monsieur, vous ne pouvez vous faire une idée de ce qui se passe dans notre conclave : il est évident que parmi les membres du cabinet, il en est au moins un ou deux qui, sous prétexte d’éviter la guerre avec une des parties, n’auraient pas grande répugnance à se jeter sur l’autre et à entrer dans la confédération des princes contre la liberté humaine. » Puis il racontait comment, par prudence, et pour mieux assurer le rejet de la politique proposée par Hamilton, il avait adhéré dans le conseil à la proclamation du 22 avril. Il flétrissait « le langage pusillanime du rédacteur, la crainte qu’il avait eue d’y insérer la moindre expression de sympathie pour la France. » Il se refusait à la regarder comme une véritable déclaration de neutralité pouvant engager la politique du pays. « Le pouvoir exécutif n’avait pas le droit de déclarer la guerre, il n’avait donc pas celui de déclarer qu’il n’y aurait pas de guerre. »

Les chefs de l’opposition n’étaient pas les seuls à recevoir ces irritantes confidences. À en croire le ministre de France, cet agent partageait avec eux les dangereuses faveurs du secrétaire d’état, et il avait ainsi a été initié à des mystères de nature à enflammer sa haine contre tous ceux qui aspirent au pouvoir absolu. » Cependant, soit que Jefferson se fût mal expliqué, soit que M. Genêt eût mal écouté, le représentant de la convention commit la faute de confondre étourdiment dans sa pensée Washington et les fédéralistes, il ne tint aucun compte de la fiction qui permettait aux habiles du parti démocratique de battre en brèche le gouvernement sans danger pour leur popularité. Le président devint à ses yeux le jouet d’une petite coterie anglaise et monarchique sans racines dans le pays et sans action sur l’opinion ; les sociétés démocratiques qu’il haranguait et les feuilles républicaines qu’il inspirait lui parurent les seuls véritables organes du sentiment national. Sans cesse la gazette de Fréneau l’excitait à se montrer ferme et hardi ; sans cesse elle lui rappelait que le peuple était pour lui, que le peuple seul était souverain, et que Washington s’était rendu coupable d’usurpation en proclamant la neutralité sans consulter le congrès. À force de l’avoir entendu dire et de l’avoir fait répéter, il se crut en droit et en mesure de tout entreprendre. Jefferson, après avoir regardé le citoyen Genêt comme un précieux instrument d’agitation contre le parti fédéra-