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la pieuse exclamation d’un homme voyant un flot de bonheur se répandre sur l’humanité. Si jamais semblable exclamation fut permise, c’est bien aujourd’hui, car aujourd’hui l’homme qui a été la source de tous les maux du pays descend au niveau de ses concitoyens et perd le pouvoir d’entasser de nouvelles calamités sur les États-Unis. » Ainsi fut célébrée par la gazette l’Aurora, le plus violent organe du parti démocratique, l’inauguration du nouveau président John Adams, l’un des chefs du parti fédéraliste, (4 mars 1797.)

Battus dans les élections pour la présidence, les républicains avaient néanmoins raison de chanter victoire. Si la retraite de Washington ne leur donnait pas le pouvoir, elle leur livrait le pays. Peu de mois avant l’élection, Jefferson écrivait à Monroë : « Les fédéralistes eux-mêmes en conviennent, toute leur force leur vient des mérites du président, de son influence colossale sur le peuple. Le jour où le président se retirera, son successeur, s’il est monocrate, sera dominé par l’esprit républicain de ses constituans ; s’il est républicain, il donnera naturellement carrière à cet esprit, et il rétablira l’harmonie entre le gouvernement et les gouvernés. En attendant, patience ! » La situation était bien changée depuis le temps où l’opposition affectait de regarder Washington comme la meilleure sauvegarde contre le triomphe du parti qui soutenait l’administration. C’était à Washington que ce parti devait tous ses derniers triomphes. À dater de 1793, les fédéralistes avaient perdu la prépondérance dans le congrès, et ils n’y avaient plus obtenu que des majorités factices formées sous la pression du public, « toujours disposé, dit Jefferson, à soutenir l’avis du général contre le sien propre et contre celui de ses représentans. » Le successeur de Washington avait été choisi au milieu d’un de ces coups de vent contraires à la faction républicaine, et malgré cette bonne fortune John Adams ne l’avait emporté que de trois voix sur son concurrent Jefferson, auquel la vice-présidence était échue en partage.


V.

Lorsqu’il avait laissé poser par ses amis sa candidature à la présidence, Jefferson ne s’était exagéré ni les chances de succès ni les inconvéniens d’un échec. Il se résigna de fort bonne grâce à n’être que le second personnage de l’état. Les temps étaient difficiles : au dehors, le directoire avait rompu tout rapport diplomatique avec le gouvernement des États-Unis, la paix était menacée, et l’on entendait déjà gronder le canon des corsaires français ; au dedans, tous