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cain ; il resta néanmoins maître de l’avenir. En blessant l’honneur national des États-Unis, le directoire paralysa pour un temps la faction française en Amérique ; mais en voulant trop exploiter cette bonne fortune, les fédéralistes en perdirent tout le profit, et l’accident qui avait paru devoir retarder le cours naturel des choses l’accéléra.

« La France prétend lever tribut en Amérique ! » Telle fut la nouvelle qui, au mois d’avril 1798, répandit soudain la consternation parmi les alliés du directoire et l’indignation contre eux dans les masses. « Des millions pour nous défendre, pas un centime pour acheter la paix, » tel fut le cri public qui partout imposa silence à l’opposition. Les imaginations s’échauffèrent : on se représenta l’indépendance menacée, le sol national envahi, l’Amérique asservie à des maîtres sanguinaires et corrompus ; on vit dans tout partisan de la paix un agent de la France, dans tout citoyen français un espion jacobin ; on fit appel à la vigueur du gouvernement, on proclama le besoin d’une dictature. Au milieu de cette effervescence populaire où l’effroi se mêlait à l’enthousiasme, le vertige s’empara des fédéralistes : ils se crurent tout possible et tout permis ; ils se persuadèrent que le moment était venu d’écraser les ennemis du pouvoir et de mettre fin aux cabales des factions. « Nos foudres de guerre, écrivait Jefferson, ne parlent plus que de septembriser, de déporter, d’emprunter au gouvernement français sa façon de châtier les séditieux. » John Adams ne fit rien pour modérer ces dangereux emportemens. Tout entier au plaisir de répandre les flots de sa chaleureuse parole sur les députations qui, de tous les coins de l’Amérique, venaient lui apporter des témoignages de sympathie et des offres de concours, il sortit de la réserve que commandaient et sa situation et sa politique. Trop honnête pour ne pas souhaiter sincèrement le maintien de la paix avec la France et le rétablissement du calme à l’intérieur, il fut en même temps trop dominé par sa vanité pour contenir de belliqueux mouvemens d’éloquence qui exaltèrent de plus en plus le sentiment public. Hamilton s’alarma. « Ce n’est pas notre métier, écrivait-il à l’un des membres du cabinet, c’est encore bien moins celui du gouvernement d’engendrer un esprit irrégulier et violent. » Jefferson manifesta plus de surprise que d’inquiétude. « Le souffle qui enflamme la population des villes est en vérité merveilleux, s’écriait-il ; elles vomissent des adresses sans fin offrant vie et fortune… On peut pardonner des déclarations indiscrètes et des expressions passionnées à une multitude qui cède à l’impulsion du moment, mais on ne peut s’attendre à ce qu’une nation étrangère reste aussi insensible aux réponses du président, plus fanfaronnes encore que les adresses… Et ce n’est pas contre la