Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion, mais formant avec elle un angle, la division légère, déployée de même et couverte par une des branches du Kilen-Balka. La brigade des gardes, quelques instans après, vint se placer en arrière de la 2e division. Le reste des troupes était encore en marche, et fort éloigné. Ainsi dans ce premier moment six régimens de la 2e division, huit de la division légère et trois des gardes, en tout dix-sept régimens, prirent seuls part à l’action. La position qu’avait prise l’armée anglaise était bien choisie. Elle avait ses ailes appuyées aux pentes inacessibles de la vallée du Kilen-Balka, son front en partie couvert par des ravins qui descendent à droite et à gauche, et formait un demi-cercle, dont les feux convergeaient sur le défilé par où l’armée russe devait déboucher.

Il était près de sept heures lorsque les colonnes russes arrivèrent à la portée du feu des Anglais; la colonne de Soïmonof longeait le Kilen-Balka, le régiment de Borodino gravissait le ravin en face du pont d’Inkerman, et le régiment de Taroutino suivait, dans le ravin des Carrières, la vieille route de poste. Par suite du faux mouvement de Soïmonof, ces colonnes vinrent s’encombrer sur le plateau compris entre la vallée et le Kilen-Balka. Ce plateau n’a guère plus d’un kilomètre de large. Aussi les Russes se virent-ils dans l’impossibilité de se déployer conformément aux instructions du général Dannenberg. Exposés de tous côtés au feu redoutable des Anglais, armés de carabines Minié, ils durent engager l’action ployés en colonnes serrées. A la droite, le long du Kilen-Balka, se trouvaient ainsi massés les régimens de Tomsk et de Kolyvan, ayant en réserve le régiment de Katharinbourg; à la gauche, les régimens de Borodino et Taroutino. L’artillerie occupa une butte appelée par les Anglais la butte des Cosaques, d’où l’on dominait tout le champ de bataille, et prit position sur deux lignes appuyées à droite et à gauche par les régimens de Butir et d’Uglitz. Beaucoup plus loin en arrière, le long du Kilen-Balka, les régimens de Susdal et de Wladimir demeurèrent en réserve. L’artillerie russe ouvrit alors un feu dont pendant toute la durée du combat la vivacité ne se ralentit pas un instant. Protégées par ce feu terrible, les colonnes russes marchèrent sur la ligne anglaise. Vingt bataillons russes allaient ainsi aborder dix-sept régimens de forces à peu près égales. La difficulté de se frayer un passage à travers les broussailles qui couvraient tout le sol environnant rompit bientôt les rangs des Russes. Il était impossible aux hommes de marcher avec ensemble, et, une fois séparés, de se rallier dans ces halliers hauts de trois à six pieds. La nature du terrain fit ainsi de cette première période de la bataille d’Inkerman une longue et sanglante mêlée où des masses en désordre venaient se heurter, avançaient, reculaient, puis revenaient à la charge avec un acharnement extraordinaire. Une brume épaisse