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La sortie confiée au général Timofeief fut menée tout autrement. Ce général, qui trouva quelques mois après une mort glorieuse en défendant le Mamelon-Vert, sortit du bastion n° 6 avec quatre bataillons appuyés de quatre pièces d’artillerie légère, et pénétra vivement dans les tranchées françaises sur les neuf heures du matin. Il les bouleversa, encloua une quinzaine de pièces dans les batteries n° 1, 2 et 3, et se retira sans accident dans la place, entraînant à sa poursuite le général de Lourmel. Ce bouillant officier s’avança trop, sa brigade se trouva compromise et souffrit cruellement du feu de la place; lui-même fut tué. Pour dégager la brigade, le général Forey fut obligé d’envoyer à son secours le général d’Aurelle. Le corps d’armée, pendant tout ce temps, fut tenu sous les armes dans les tranchées. Le but de Timofeief se trouva ainsi atteint.

Pour le général Moller, il n’osa rien tenter avec la garnison sur les lignes anglaises, mais son inaction s’explique : il devait donner la main aux troupes de Soïmonof, chargé d’attaquer le centre et la gauche des Anglais, et qui alla tout à l’inverse donner sur leur extrême droite.

Telles furent, d’après les derniers documens anglais et russes, les opérations des deux armées pendant la journée du 5 novembre.


IV.

Cette journée coûta aux Russes 9,000 hommes tués ou blessés. Leurs évaluations, à cet égard, se trouvant parfaitement d’accord avec celles du général Canrobert, nous croyons devoir les adopter[1]. Du côté des alliés, les pertes ne furent que de 4,000 hommes. Toutefois l’exactitude de ce chiffre est contestée par le major Calthorpe, et de fait il est difficile de s’expliquer une telle disproportion. Les conditions dans lesquelles les deux armées en vinrent aux prises furent à peu près égales. La défaite des Russes, il faut le reconnaître, ne fut pas une déroute; ils se retirèrent en bon ordre, ne laissèrent aux mains des vainqueurs ni canons ni prisonniers. Or, pour nous servir des expressions de Napoléon, « la grande différence entre les pertes des vainqueurs et celles des vaincus n’existe surtout que par les prisonniers... Les pertes occasionnées par le feu sont égales de part et d’autre[2]. »

  1. Les pertes des Anglais furent de 462 tués, 1,952 blessés, 198 égarés. Il résulte de la proportion entre les tués et les blessés que l’accusation relative au massacre des blessés anglais ne porte que sur des faits isolés, comme il s’en voit malheureusement dans toutes les guerres. Nous ferons remarquer à ce sujet que le procès intenté au major russe n’aboutit à rien; fort embarrassés de la tournure que prenait cette affaire, les Anglais ne songèrent plus qu’à l’assoupir et firent embarquer à petit bruit cet officier pour Malte, où il mourut de ses blessures.
  2. Précis des Guerres de César, p. 152.