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sensuel, c’était la lutte, la vieille lutte entre la chair et l’esprit, entre les sens et le cœur, entre le démon et l’ange, lutte toujours nouvelle, puisqu’elle est éternellement variée par les circonstances. Malheureusement les détails où s’est complu l’auteur en ont entièrement changé le sens.

Que dire des Païens innocens[1] de M. Hippolyte Babou? Ce livre est donné comme un retour dans les œuvres d’imagination à des formes purement romanesques, et comme une protestation contre la peinture de mœurs dans le roman. M. Babou me semble être tombé dans un excès opposé à celui qu’il prétend combattre. Ce ne sont point les matériaux qu’il faut prendre à partie, mais uniquement l’ouvrier. Si l’on borne son horizon à la Princesse de Clèves, la logique pousse à condamner aussi bien dans la poésie lyrique Alfred de Musset au nom de Louis Racine que dans le roman Mme Sand au nom de Mme de La Fayette, dans la musique Beethoven au nom de Lulli. C’est justement par l’assimilation des élémens nouveaux que lui fournit la succession des années et des circonstances que l’art se transforme et se recompose des formes nouvelles parfaitement justifiées et parfaitement régulières. Les Païens innocens ont été écrits avec une arrière-pensée de réaction et de critique qui a nui à l’exécution et qui a contraint l’auteur à se priver volontairement de certaines ressources. L’idée d’ailleurs que représente le titre ne comportait pas, dans les limites où elle a été conçue, l’étendue que lui a donnée M. Babou. Il est arrivé que la première inspiration s’est presque nécessairement trouvée heureuse. La Gloriette, qui est en tête du volume, ne manque ni de sensibilité ni de fraîcheur; mais en élargissant de parti-pris un cadre naturellement étroit, l’auteur est tombé dans la monotonie et dans l’obscurité. Ajoutez-y une misanthropie littéraire qui s’y trouve à l’état latent, et le reste du volume devient d’une lecture difficile. Le style pourtant ne manque ni de substance ni de fermeté.

Voici maintenant un roman où j’ai cru trouver de sérieuses qualités[2], C’est, m’assure-t-on, le début d’un jeune écrivain qui aborde la littérature avec de sincères convictions. Du reste, il prend soin de les exposer lui-même dans une de ces préfaces solennelles dont la mode semble un peu passée. Qu’est devenu le temps, presque regrettable pour l’influence de la pensée, où les préfaces étaient de véritables professions de foi, de brûlantes proclamations lancées avec la plus naïve sincérité? J’avoue que je n’aime guère ces longs discours, quand ils ne tendent pas exclusivement à expliquer l’ouvrage, quand ils ne sont pour l’auteur qu’une occasion d’étaler ses opinions générales. La préface de M. Walras me paraît sincère; mais, si je suis d’accord avec lui sur l’idée qui la domine, je ne puis m’empêcher de la considérer comme un hors-d’œuvre. Si je suis obligé de souhaiter que l’auteur justifie un peu mieux la faveur qu’il paraît accorder au suffrage universel, s’il me faut lui demander quelques explications plus claires sur ce qu’il entend par les transformations de l’art, je ne considère plus que l’homme, et l’idée que je me fais de ses opinions personnelles altère nécessairement, et presque malgré moi, le jugement que je dois porter sur la partie du livre où

  1. 1 vol. in-12, Poulet-Malassis et de Broise.
  2. Francis Sauveur, par Léon Walras, 1 vol. gr. in-18, Dentu.