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coutume, rompant la trêve avec le Monténégro, l’ont attaqué du côté de l’Albanie. De ce côté il n’y avait pas d’insurrection, le calme le plus complet n’avait cessé de régner. Des corps de troupes partis des citadelles de Spouje et de Podgoritza sont entrés sur le territoire monténégrin, pour s’emparer de positions qui commandent leurs communications. Un pope nommé Radosav, envoyé par les Monténégrins en parlementaire à Spouje, a été décapité par les Turcs. Dès lors le prince Danilo s’est cru dispensé de garder des ménagemens avec un ennemi qui lui déclarait la guerre par un assassinat, et son intervention armée en Herzégovine ne s’est pas fait attendre. Elle avait d’abord un but défensif. Convaincu que le débarquement annoncé des Turcs était dirigé en réalité contre lui bien plus que contre des insurgés qui ne méritaient pas à eux seuls un pareil déploiement de force, il envoyait six ou sept cents hommes pour déloger l’ennemi de Zoupci, point qui domine la Soutorina (c’est un des deux points où le territoire turc touche la mer de ce côté ; Klek est l’autre). Omer-Pacha avait débarqué à la Soutorina en 1851, et on pouvait supposer que les forces ottomanes y aborderaient encore. Ivo Radonitch avec ses Monténégrins, aidé des insurgés, força les Turcs à la retraite.

Là s’étaient bornés les faits militaires, lorsqu’on apprit successivement le débarquement à Klek d’un corps d’armée turc, l’entrevue à Mostar de Kémal-Eflendi avec un envoyé du prince Danilo et les consuls des puissances. Les Turcs, sourds aux avis de la France, sourds à toute parole conciliatrice, sont allés aveuglément au-devant de l’échec de Grahovo, et la volonté du gouvernement français, que nous avons vue si nettement exprimée dans un récent article du Moniteur, est enfin venue arrêter les combattans.

La question du Monténégro a fait un pas ; elle entre dans une phase nouvelle. Pour la première fois elle est soumise d’une manière directe et spéciale à l’arbitrage des puissances. On ne peut plus l’éluder. Quel est l’intérêt de la France dans cette question ? Il ne faut pas dire qu’il ne saurait rien y avoir de commun entre nous et cette petite principauté perdue dans un coin de l’empire ottoman. Qu’on se rappelle l’époque où la question grecque était traitée aussi légèrement, de même plus tard la question égyptienne. Puis un jour est venu où ces questions ont grossi au point d’éclipser toutes les autres et d’être l’unique préoccupation du moment. De ce dédain ou de cet engouement exclusif sont venus tous nos mécomptes dans les affaires orientales. Nous ne disons pas que le Monténégro tienne dans le monde la place de la Grèce ou de l’Égypte, nous disons seulement qu’il mérite qu’on s’occupe de lui.

La Turquie est, on le sait, un composé de nationalités fort distinctes