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vieux croyans avec une rigueur qui alla croissant jusqu’à la fin de son règne.

Pour venir à bout de diminuer le schisme, l’empereur Nicolas était tout disposé à pousser les choses à l’extrême. On dit même qu’il fut maintes fois question d’appliquer aux contrées qu’habitent les vieux croyans le système de terreur que l’Autriche employa jadis en Bohême ; mais, les mœurs de notre siècle ne comportant plus ces procédés expéditifs, le tsar se borna à leur infliger la transportation en Sibérie, l’emprisonnement dans les couvens, et diverses tortures physiques où morales. À ces peines officielles il convient d’en joindre une qui n’était point sur la liste : nous voulons parler des continuelles exactions auxquelles se livraient les employés civils et militaires. Comme les vieux croyans composent la partie la plus riche de la population, ils étaient mis à contribution par ces délégués du gouvernement avec une habileté qui, appliquée au service public, eût été des plus fructueuses pour le pays. Les fonctions qui pouvaient mettre un employé en rapport avec les sectaires étaient recherchées avec ardeur. On a vu quelques-uns des agens qui avaient fait partie de la commission extraordinaire instituée à la suite des déclarations du comte Pérovski mener un train de grand seigneur. Le clergé lui-même ne se faisait aucun scrupule de pressurer les sectaires, et les moyens ne lui manquaient pas. Encore aujourd’hui les vieux croyans qui habitent les villes capitales, surtout Moscou, ce centre de toutes les sectes de l’église russe, paient aux curés des sommes considérables. La plupart d’entre eux, étant marchands, sont obligés de se faire inscrire dans une des guildes[1], et, pour y être maintenus, il leur est enjoint de présenter à l’autorité municipale des certificats constatant qu’ils accomplissent tous leurs devoirs religieux. Cette obligation est une bonne aubaine pour les curés ; ils délivrent les certificats exigés moyennant finance. Les cures des villages peuplés de sectaires sont fort recherchées, et ce n’est point précisément le désir de ramener les brebis égarées au bercail qui pousse les prêtres à solliciter ces paroisses : c’est parce qu’elles leur rapportent de gros revenus, les sectaires payant très généreusement pour être dispensés de se soumettre aux obligations du culte. Les abus de ce genre ne sont un secret pour personne ; les dissidens sont une mine d’or pour les prêtres et les employés, disent les paysans russes.

La conduite qu’a suivie l’empereur Nicolas pour mettre un terme au schisme des vieux croyans devait nécessairement amener un résultat tout opposé à celui qu’il s’était promis. Les châtimens que

  1. Le corps des marchands est formé de trois guildes ou classes.