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construire à leurs frais une église destinée au nouveau culte. Un prêtre était venu l’inaugurer en présence de toutes les autorités du district et d’une foule de fidèles qui avaient été officiellement convoqués. La cérémonie terminée, les fonctionnaires célébraient cet heureux événement à table chez le prêtre, lorsque tout à coup on vint leur annoncer que le nouveau temple était en flammes. Il brûla jusqu’au sol, et ne fut point rebâti.

La complète inutilité des mesures auxquelles le gouvernement russe a eu recours pour ramener les vieux croyans à l’orthodoxie n’est point ce qui mérite de lui être surtout imputé à blâme. L’ennemi dont il a poursuivi la destruction avec un si déplorable aveuglement n’est point de ceux qu’il est donné aujourd’hui à un pouvoir quelconque de soumettre par la persécution avec aucune chance de succès. Cependant le gouvernement ne saurait se justifier du tort que ce système d’intimidation a causé à la morale publique : il a enraciné parmi les vieux croyans des habitudes de dissimulation et d’hypocrisie dont ils seront longtemps à se défaire. Les employés russes qui s’obstinent à défendre l’ancien système prétendent que l’empereur Nicolas n’avait nullement l’intention d’exercer aucune contrainte morale sur la conscience des vieux croyans. Qu’il ait donné ordre de poursuivre leurs chefs, on ne le nie pas ; mais ces expéditions étaient dans l’intérêt des vieux croyans, car les hommes dont on s’est saisi étaient des apôtres sans conscience qui ne se faisaient aucun scrupule de séduire les orthodoxes à prix d’argent. Un pareil moyen de justification ne saurait être pris au sérieux. Il vaut mieux admettre que le zèle religieux du tsar l’empêchait d’apprécier sainement le rôle de la secte persécutée. L’empereur Nicolas ne voyait sans doute dans les vieux croyans que des hommes séparés de l’église par une aveugle obstination. Cela est d’autant plus probable que bien des gens pensent encore en Russie que les vieux croyans ne sont séparés de l’église officielle que par des différences de rite et un respect stupide pour les livres et les cérémonies religieuses en usage avant la réforme de Nikon. Si cette opinion était fondée, nous n’hésiterions pas à partager le dédain qu’inspirent les vieux croyans ; affronter le martyre pour de pareilles futilités, n’est-ce pas de la démence ? Mais, on ne saurait trop le répéter, les vieux croyans ne sont nullement des réactionnaires religieux : ils tiennent moins qu’on ne le dit aux textes de l’ancien temps et aux anciennes cérémonies ; le verbe a chez eux beaucoup plus d’autorité que la lettre, ainsi que le prouve le grand nombre des divisions qui se produisent continuellement dans leurs rangs, et qui doivent leur origine aux prédications de quelques fidèles inspirés. Ces divisions ne portent, il est vrai, que sur des points de morale et de culte : les dogmes fondamentaux de l’église orthodoxe n’en sont nullement atteints ;