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représentent dans le sein de l’église orthodoxe au protestantisme occidental dans sa première forme. Les points par lesquels ils se rapprochent des plus anciens disciples de Luther sont faciles à indiquer. On retrouve chez eux le mépris du clergé régulier, l’amour des discussions religieuses, un respect profond pour la Bible et les Écritures saintes, dont ils s’arrogent pourtant le droit de commenter le texte. C’est aux fidèles qu’appartient chez eux la nomination des pasteurs, et ils se croient autorisés à surveiller la conduite de ces derniers. Nous tenons d’un témoin oculaire qu’étant un jour dans une communauté de dissidens, il vit l’un d’entre eux, qui avait remarqué un livre moderne sur la table du prêtre, le jeter au feu avec indignation, sans que celui-ci y trouvât à redire. Enfin un grand nombre de vieux croyans se passent de prêtres ordonnés ; ils confient les pouvoirs sacerdotaux à des laïques. Il ne faudrait point en conclure néanmoins que le schisme des vieux croyans se rattachât au protestantisme. La plupart des droits qu’ils réclament sont antérieurs au xvie siècle ; ils remontent aux temps qui suivirent l’introduction du christianisme en Russie. On retrouve même au xive siècle, dans les classes inférieures, un parti religieux qui professait à peu près les mêmes principes que les vieux croyans. La pensée qui inspire ceux-ci est essentiellement nationale ; ils rejettent le nom de schismatiques, et ils en ont le droit. Le nom de chrétiens, qu’ils se donnent par excellence, leur est parfaitement acquis ; s’ils n’ont point adhéré aux changemens que Nikon introduisit dans l’église russe, ils sont demeurés beaucoup plus fidèles que la population orthodoxe à l’essence même du christianisme par la sévérité de leurs mœurs, la vivacité de leurs sentimens religieux et l’esprit de liberté qui les anime. Aux yeux de ces hommes incultes, mais dominés par une foi ardente, rien n’est supérieur aux devoirs religieux ; ils leur subordonnent tous les intérêts de ce monde : les paysans orthodoxes reconnaissent très naïvement ce qui les distingue des sectaires. Lorsque les membres de la commission dont nous venons de parler entraient dans les isbas des paysans orthodoxes, ceux-ci s’empressaient ordinairement de leur dire : « Nous ne sommes pas chrétiens. — Comment cela ? leur répondait-on. Vous croyez pourtant au Christ ? — Oui, sans doute ; mais nous allons à l’église, nous vivons suivant le monde. Les chrétiens sont ceux de l’ancienne foi ; ils ne vont pas à l’église, et prient néanmoins mieux que nous. À nous autres, cela prendrait trop de temps. » Tel est le jugement que portent sur les vieux croyans les hommes qui sont vraiment à même de les connaître ; il confirme pleinement l’opinion que nous venons d’énoncer.

Le peuple russe semble consumé par une ardeur secrète. Les hommes vulgaires cherchent à la satisfaire dans les extases de