Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de citer, ont du à ses conseils une pureté et une correction qu’elles n’auraient jamais eues sans eux. Il était jaloux, j’en conviens, mais jaloux des intérêts de l’art et de la littérature. L’art et la littérature étaient sa seule passion, et, comme toutes les passions exclusives, elle engendrait chez lui des admirations et des haines tranchées et irrémédiables. Il blâmait et il louait sans faire de réserves ; les expressions de mépris ne lui coûtaient rien, lorsqu’il croyait devoir condamner, pas plus que les hyperboles élogieuses lorsqu’il croyait avoir raison de louer. L’amertume avec laquelle il s’exprimait souvent sur les œuvres qu’il condamnait le faisait accuser de dépit par ses ennemis : ce n’était pas du dépit qu’il éprouvait, c’était du désappointement. Lorsqu’il s’élevait contre un succès immérité avec cette calme violence et cette vigueur logique que nos lecteurs lui connaissaient, c’est qu’il voyait dans ce succès une corruption du goût public ou un pervertissement de l’opinion. Devant cet intérêt suprême de l’art, toutes les considérations de personnes et de relations devenaient pour lui des questions secondaires, et il ne tenait plus compte même des rapports de l’amitié et de la confraternité littéraire. Que deviendraient l’art et la littérature lorsque le goût public serait corrompu ? Après s’être follement engoué des sculptures libertines de M. Clésinger, le public serait-il encore capable d’admirer Phidias et Michel-Ange ? Après avoir applaudi les drames matérialistes d’Alexandre Dumas, le public pourrait-il encore écouter et applaudir la poésie de Racine et de Corneille ? Telle était au fond sa grande et constante préoccupation ; tel était le sentiment qui lui faisait rendre des arrêts si sévères, et qui donnait à son langage cette redoutable âpreté, terreur des artistes et des poètes. Ses haines, s’il en avait, étaient donc tout intellectuelles et purement abstraites. Jamais les considérations de personnes n’ont eu d’influence sur son jugement : plus d’une fois il lui est arrivé d’offrir son silence aux hommes qu’il admirait le plus, lorsque leurs œuvres nouvelles ne lui semblaient pas à la hauteur de celles qu’il avait louées précédemment. Ajoutons, pour compléter cette esquisse rapide de son caractère, qu’il ne savait pas transiger avec sa pensée, et que les intérêts de l’art lui semblaient distincts des intérêts d’école et de secte. Gustave Planche était donc un caractère tranché et tout d’une pièce ; contrairement aux hommes qu’on ne connaît bien qu’après une fréquentation de plusieurs années, on l’avait pénétré tout entier au bout d’une heure de conversation, et l’on restait convaincu qu’il n’y avait pas dans ce caractère le moindre coin obscur, le moindre repli où pût se loger quelqu’une de ces vilaines passions qui s’appellent la haine, l’envie ou la perfidie. Que ses ennemis et ses détracteurs, s’il en est par hasard que la mort n’ait pas