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apaisés, veuillent bien nous en croire : nous l’avons connu sept années, et au bout de la septième année nous n’avions découvert en lui rien de plus qu’au premier jour. Il se laissait voir et pénétrer en une fois, et dès la première heure, comme un homme qui n’a rien à cacher, et dont la conscience se sent à l’abri des interprétations malveillantes.

C’est Montesquieu, je crois, qui a dit cette parole tant de fois répétée, que les peuples heureux n’avaient pas d’histoire. J’en demande pardon à l’illustre publiciste, mais son aphorisme me paraît exprimer tout le contraire de la vérité. Il n’y a jamais eu, à proprement parler, de peuples heureux ; mais il y a eu des peuples grands et prospères, et ceux-là ont une histoire, précisément à cause de leur grandeur et de leur prospérité. Ce sont les peuples malheureux qui n’ont pas d’histoire. La vie de Gustave Planche ressemble un peu à l’histoire des peuples malheureux : elle fut courte, triste, pleine de circonstances déplaisantes, de mesquines entraves, de petites misères subies avec calme et portées avec dignité.

Prématurément éprouvé, il eut de bonne heure besoin de faire appel à cette indépendance de caractère qui n’a pas faibli une seule fois jusqu’à sa mort. Ses premiers chagrins, les plus sérieux sans doute qu’il ait éprouvés, lui vinrent de la famille, dont il refusa d’accepter les exigences. Son père, homme distingué dans sa profession, honnête bourgeois et chef de famille à l’ancienne mode française, caractère énergique et légèrement absolu, ne comprenait pas cette pratique du partage du pouvoir entre le père et les enfans qui a fleuri de nos jours, et qui a si complètement altéré la physionomie de la famille française. Il n’admettait pas de résistance aux volontés paternelles, et regardait comme une insubordination de l’enfant l’expression d’une préférence et la satisfaction donnée à des penchans naturels. Il avait résolu que les études de son fils auraient pour objet principal et sérieux les sciences physiques ; le goût et les penchans du jeune homme l’entraînaient au contraire vers l’étude des lettres et des arts. Le père était opiniâtre, mais il avait légué à son fils avec son sang cette même dangereuse qualité de l’obstination : les deux volontés se heurtèrent sans qu’aucune voulût céder. Lorsque deux caractères ont reconnu qu’ils ne peuvent se vaincre, il ne leur reste qu’à se séparer : c’est aussi ce qui arriva. Alors commença pour Gustave Planche une vie de déboires, de mécomptes, de luttes stériles qui respectèrent son intelligence, mais qui brisèrent ou pour mieux dire disloquèrent sa force morale au point qu’il ne la retrouva jamais plus, dans sa première intégrité. Ce n’est jamais en’ vain qu’on dépense ses forces à lutter contre des obstacles misérables et des soucis mesquins. Il fut obligé, pour soutenir