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mais à sa justice ; il n’emploie jamais cette flatterie, ou, pour prendre un mot plus exact et plus vrai, cette câlinerie affectueuse par laquelle les enfans savent si adroitement triompher des sévérités de leurs parens. Quelquefois cependant les ennuis sont si violens, les tracasseries si insupportables, qu’il se laisse aller à une amertume irréfléchie et à quelques reproches timides ; mais l’instant d’après il se repent, s’accuse de sottise et de lâcheté, implore le pardon et l’oubli de cette faute involontaire. Son père fera ce qu’il voudra ; il ne fera droit, s’il le croit convenable, à aucune de ses demandes. Tout ce qu’il désire, c’est que tout soit oublié, et que la confiance de son père dans la sincérité de ses sentimens ne soit pas ébranlée. Pauvre honnête esprit ! Mais s’il reste jusqu’au bout dans son rôle de fils, le père, de son côté, se renferme inflexiblement dans son rôle de père. Il peut bien calculer, raisonner, discuter, il ne fléchit ni n’abdique jamais, témoin ces quelques mots qu’on nous pardonnera de citer, nous l’espérons, et qui donneront une idée de son inexorable dignité paternelle : « Je remercie mon fils Gustave de son livre, et j’agrée comme sincères les deux lignes qui en accompagnent l’envoi. »

Ce remerciement sévère et tranché date de 1836, époque à laquelle Gustave Planche était devenu célèbre ; mais avant cette époque, que de déboires et d’ennuis ! Une sorte de guignon le suit dans toutes ses entreprises ; s’il ne réussit pas, qu’on ne l’en rende pas entièrement responsable, et qu’on jette au moins sur le compte de la fatalité la part de responsabilité qui revient à cette terrible divinité dans les mécomptes qu’il subit. Tous ses projets avortent, tous ses espoirs sont déçus : il a dû accompagner le duc de Trévise en qualité de secrétaire ; le duc de Trévise n’est pas parti. Il vient de faire imprimer une revue du salon de 1831 ; il comptait sur la vente de ce livre pour réaliser quelques bénéfices qui devaient pourvoir à ses besoins les plus pressans. Grâce à la négligence de l’éditeur, qu’il n’a pas eu le soin de suffisamment intéresser dans la réussite de l’affaire, la vente a produit à peine de quoi couvrir les frais de revient, et par conséquent les bénéfices ont été nuls. Quelque temps après 1830, il a dû prendre dans un des départemens du centre la direction d’un journal dévoué aux intérêts du parti libéral ; mais, au moment de partir, il a refusé brusquement, parce qu’il avait appris qu’un des chefs du parti libéral, M. P. D. de H., comptait faire de lui l’instrument de sa réélection. Son indépendance le rend incapable de transaction et de discipline. Il a donné quelques articles au National, mais il a été bientôt forcé d’y renoncer. Il s’est bien vite aperçu qu’en écrivant dans ce journal, il faudrait en adopter l’esprit et abandonner une partie de sa liberté. « Je suis loin de blâmer