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pas à dire des choses neuves, mais à dire des choses vraies. Son honnêteté intellectuelle était invincible. Comme un professeur que son devoir oblige à répéter chaque jour les mêmes règles de syntaxe aux écoliers qu’il est chargé d’instruire, Gustave Planche n’hésitait pas à répéter à satiété les lois les plus connues de la morale et du goût. Il avait raison : la morale et le goût veulent être traités comme la grammaire et l’orthographe, et le monde irait beaucoup mieux, si on consentait à les considérer sous ce point de vue sommaire. Ce que nous oublions le plus facilement, ce ne sont pas les connaissances superflues, mais les connaissances rudimentaires ; ce ne sont pas les résultats des choses, mais leurs principes. Il en est ainsi de la morale et du goût : nous ne courons jamais risque d’oublier leurs délicatesses, mais nous oublions facilement leurs élémens, et nous avons besoin qu’une voix sévère nous les rappelle de temps à autre. Cette voix sévère à notre époque fut celle de Gustave Planche. Lorsqu’une vérité était violée et méconnue, il n’hésitait pas à signaler cette violation, au risque de se faire accuser de naïveté. Comme il ne cherchait ni à plaire ni à étonner, il n’aimait pas à être étonné lui-même et surpris contre les règles, et en conséquence il n’avait aucune indulgence pour les ruses et les charlatanismes de l’art. Planche ne fut pas dans la critique moderne un inventeur, ce fut plutôt un vulgarisateur, et ce dernier titre, à certaines époques, vaut le premier. Nous vivons dans un temps en effet où il reste bien peu à faire à l’invention ; toutes les formes possibles de la pensée ont trouvé leurs interprètes, tous les principes esthétiques ont été mis en pleine lumière. Il s’en faut de beaucoup pourtant que le goût contemporain soit en rapport avec la science contemporaine, et le sentiment du beau était certes plus développé aux époques où la philosophie de l’art était moins avancée. La pratique est en retard sur la théorie. La tâche du critique est donc de répandre, de propager les idées connues auxquelles il reste maintenant bien peu à ajouter. C’est à cette tâche que Gustave Planche s’est dévouée toute sa vie ; personne n’a jeté dans le public une plus grande somme d’idées judicieuses et saines. Beaucoup d’entre nous, qui peut-être ne voudraient pas l’avouer, lui doivent de savoir faire la différence entre une bonne peinture et une peinture séduisante, entre une école originale et une école d’imitation ; ils lui doivent de ne pas mettre l’art français au-dessus de l’Italie, ou l’école espagnole au-dessus de l’école flamande.

Sa critique était dogmatique, tranchée, et se plaisait aux détails techniques. Il n’analysait pas, il exposait. Il ne racontait pas, il discutait. Il considérait la beauté comme une sorte d’abstraction, et expliquait une belle œuvre comme un problème de mathématiques.