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contribuer à expliquer les passions successives qui ont troublé sa vie et la catastrophe qui l’a terminée.

C’est en lisant chez M. Lucas de Montigny les lettres de Sophie que j’ai été amené à m’occuper d’une autre femme qui a eu aussi sa part d’influence dans la vie de Mirabeau, influence plus cachée, étrangère à tout scandale, et par conséquent plus ignorée que celle de Sophie, mais aussi salutaire pour le fougueux tribun qu’elle pouvait l’être dans les conditions irrégulières où elle se produisait ; cette liaison m’a paru digne d’intéresser le public, comme la contre-partie de l’autre attachement, plus romanesque, plus orageux, mais moins solide, et relativement moins élevé et moins pur.

Tous ceux qui ont connu personnellement M. Lucas de Montigny savent le culte filial que cet aimable et excellent homme avait voué à la mémoire de Mirabeau, quelle riche collection de souvenirs en tout genre relatifs au grand orateur, à ses ancêtres et à ses amis, portraits, bustes, gravures et autographes, il avait réunie dans sa maison, et combien il se plaisait à montrer ses richesses à ceux qui lui paraissaient capables de les apprécier. Un jour qu’il faisait passer devant mes yeux une série de miniatures peintes sur des boîtes, je remarquai particulièrement la charmante figure d’une femme qui paraissait âgée de dix-huit à vingt ans, et dont la physionomie annonçait à la fois beaucoup d’esprit, beaucoup de délicatesse et beaucoup de douceur. Je lui demandai le nom de cette gracieuse personne. Il me répondit : « C’est Mme de Nehra. De toutes les femmes qui ont aimé Mirabeau ou que Mirabeau a aimées, c’est celle qui lui a été le plus absolument dévouée ; orpheline et non mariée, elle s’est attachée à lui sans avoir à violer aucun engagement antérieur. Durant plus de cinq ans, elle n’a vécu que pour lui ; tous les amis de Mirabeau, qui l’ont vue se consacrer tout entière aux intérêts, au bonheur, à la gloire de l’homme qu’elle aimait, ont parlé d’elle avec estime et respect. À force de blesser sa fierté, l’incurable fragilité de Mirabeau a fini par l’éloigner de lui ; mais en le quittant elle n’a pas cessé de l’aimer. Elle lui a survécu longtemps, et je ne lui ai pas connu d’autre attachement. Quoique je ne fusse point son fils, elle a été pour moi dans ma première enfance la mère la plus tendre, et sa mémoire me sera toujours très chère. Elle a écrit sur ses rapports avec Mirabeau deux notices inédites dont je n’ai cité que quelques courts extraits dans mon ouvrage. L’ensemble de son récit me paraissant de nature à produire peut-être une impression plus favorable à elle qu’à Mirabeau, je n’ai pu me décider à le publier moi-même dans son entier. Cependant il est curieux, et je ne serais pas fâché qu’il fût publié. Si vous voulez vous en charger,