Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/737

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au milieu de ce silence et de ces ténèbres de l’histoire proprement dite, la langue des gypsies peut-elle du moins nous fournir quelques lumières sur la date probable de leur dispersion ? On remarque dans le langage des gypsies une infiltration de mots persans ; or la langue moderne de la Perse, fille de l’ancien zend, ne s’est introduite dans l’Inde qu’à la suite des nouveaux sectateurs de Mahomet, les Arabes, les Perses, les Afghans, qui portaient la parole du prophète à la pointe de leurs, cimeterres. Cette conquête fut longue, successive ; elle s’étendit de Walid et de Mahmoud jusqu’aux victoires de Timour et de Nadir. C’est donc durant cette période que les gypsies doivent avoir été violemment séparés, par un événement resté inconnu, de leur souche originelle[1]. Ce même monument, la langue, est encore le seul qui puisse nous mettre sur la trace du chemin qu’ont suivi les gypsies pour entrer d’Asie en Europe. Sur le fond indien et persan du dialecte des races nomades, tel qu’il se parle aujourd’hui en Angleterre, en Allemagne, en Italie, sont venus se fixer, à une époque relativement récente, un grand nombre de mots slaves, grecs et roumains. La conséquence à tirer de cette immixtion est que la langue primitive et tout orientale des gypsies a ramassé çà et là quelques mots des régions qu’elle a traversées, comme le torrent se teint en courant de la couleur des terres et des racines qu’il entraîne avec lui. M. George Borrow ne doute point que les gypsies venant du pays des Bulgares n’aient fait halte dans la Roumanie, après avoir traversé le Danube. De la terre des Roumains, comme d’une ruche, un assez grand nombre d’essaims voyageurs se sont répandus sur les différentes contrées de l’Europe. Les uns, tournant au nord-est, parcoururent la Russie ; d’autres se jetèrent à l’ouest, étendant leur course jusqu’à l’Espagne et jusqu’à l’Angleterre. En Valachie et en Moldavie, on retrouve encore aujourd’hui un grand nombre de zingarri. Leur nombre est estimé à deux cent mille au moins ; ce sont les restes de la grande caravane, qui, à mesure qu’elle s’avançait vers l’ouest, laissait derrière elle divers détachemens. En 1417, ils apparurent dans la Germanie. En 1427,


    sions étrangères. N’ayant rien à défendre ni rien à perdre, pourquoi auraient-ils pris la fuite ? Cette guerre horrible fut surtout une guerre de religion. Or, à en juger par leur état présent d’indifférence religieuse, les gypsies étaient les hommes du monde les moins portés par nature à repousser un dieu incarné sous la forme du glaive. Un récit arabe semble d’ailleurs indiquer que les zingarri s’étaient déjà répandus dans d’autres états de l’Asie à une époque qui a précédé les conquêtes de Tamerlan. On s’est demandé s’ils n’avaient pas été obligés de quitter l’Indu à cause de leurs déprédations et par suite de certains démêlés avec la justice. Je crains que cette supposition, moins flatteuse pour l’amour-propre des gypsies, ne soit de beaucoup la plus vraisemblable.

  1. Il se peut aussi que cette confusion de mots persans tienne au passage des zingarri à travers la Perse.