Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/739

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peu d’années avant la restauration de Charles II, treize gypsies furent encore condamnés aux assises de Norfolk et exécutés conformément aux statuts. Pour l’honneur de l’Angleterre, c’est la dernière fois que ces lois inhumaines firent des victimes[1]. L’acte de proscription lui-même fut rappelé par George III. Les anciennes mesures si rigoureuses avaient pour but évident d’extirper cette race du sol de l’Angleterre : le but fut manqué Après être en quelque sorte rentrés sous terre pour échapper à la mort, les gypsies se remontrèrent dès que les plus mauvais jours de la tempête furent passés.

Il est intéressant pour l’histoire morale des Romany de connaître exactement les motifs qui avaient déterminé cette longue et cruelle persécution. On les accusait de divers crimes. Parmi ces crimes, il en est évidemment d’imaginaires et qui tenaient aux idées superstitieuses du temps, par exemple leur commerce avec le diable. Je voudrais en dire autant du vol et de l’empoisonnement des bestiaux. À première vue, on serait tenté de reléguer ce dernier chef d’accusation parmi les fables ridicules et atroces qu’inventait alors la malveillance, telles que les histoires d’enfans mangés par les Juifs ou par les gypsies eux-mêmes. Malheureusement certains faits qui se pratiquent encore de nos jours témoignent que cette ancienne opinion ne manquait pas de fondement. Il existe parmi les gypsies d’Angleterre un terme qui exprime l’art de faire contracter au bétail des maladies artificielles : drabbing. bawlor. Ils agissent ainsi par plusieurs motifs, le premier pour se ménager le moyen de guérir les chevaux et les bœufs empoisonnés, en se faisant payer leurs services, le second pour obtenir du fermier les bêtes mortes qui sont censées avoir succombé à un fléau naturel, le troisième pour se venger des injures qu’ils croient avoir reçues. À toutes les époques et dans tous les pays, cette habileté à préparer certains poisons très actifs s’est révélée chez les gypsies.

Il est à croire qu’ayant posé le pied en Angleterre vers le commencement du XVe siècle, les gypsies ne tardèrent point à se répandre dans l’Ecosse. Les montagnes du nord, qui ont couvert les populations galliques contre l’épée des races envahissantes, ne pouvaient élever un obstacle contre les nouvelles hordes nomades. Rien n’arrête les gypsies dans leur marche. Ils sont partout étrangers, et partout chez eux. On ne trouve pourtant dans les annales de l’Ecosse aucun monument historique où il soit fait mention des Égyptiens avant i’année 1540. Il existe alors une ordonnance du sceau privé, rendue la vingt-huitième année du règne de Jacques V, en faveur d’un

  1. Ce n’était pas seulement en Angleterre que les gypsies étaient traités comme un fléau public : l’Espagne en 1492, l’Allemagne en 1500, la France en 1561 et 1612 lancèrent contre eux des décrets d’expulsion.