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avait été soutenue durant sa vie par la générosité de plusieurs dames résidant à Woodford ; mais comme ses infirmités croissaient avec l’âge, on avait trouvé bon, dans les derniers temps, de la placer dans une maison de charité, West Ham Union-house, où elle avait rendu le dernier soupir il y avait quinze jours. Les frais des funérailles étaient du reste supportés par sa famille. Au moment de quitter le cimetière où cette destinée errante venait de déployer la tente de l’éternité, je lus sur une vieille pierre rongée de mousse ces mots qui me frappèrent : « La vie est un voyage.. »

Je ne dirai rien des quatre autres grandes familles de gypsies : les Lovells, les Coopers, les Hernes et les Smiths[1], dont les mœurs ne diffèrent de la vie des Stanleys que par des nuances. Pendant l’été, ces diverses tribus recherchent le voisinage des parcs et des jardins de plaisir, où se rassemble, le dimanche surtout, un grand concours de promeneurs. L’hiver, les Lovells hantent volontiers les quartiers de Londres les plus populeux. J’en ai vu plusieurs errer dans les rues de Wapping : là vivent beaucoup de jeunes filles plus ou moins fiancées à des marins ; elles veulent savoir si leur amant reviendra bientôt, s’il les oublie dans les pays lointains, si les mers où il voyage sont orageuses ou calmes. Mais, pour trouver une face nouvelle de la vie des gypsies dans la Grande-Bretagne, il nous faut aller jusqu’en Écosse. Dans ce pays de montagnes, au milieu d’une nature austère, en contact avec les anciens Bretons du nord, le caractère des Romany a pris des proportions plus grandes et des formes plus romanesques. Là les gypsies ne paraissent avoir été à aucune époque aussi nombreux qu’en Angleterre : plusieurs de leurs tribus primitives n’existent plus ; leurs chefs ont été frappés par la loi, et les membres de ces familles se sont dispersés ou se sont rattachés à d’autres groupes. Les annales de ce peuple errant, — je ne parle point des temps anciens, je parle du commencement de ce siècle, — sont écrites en caractères sanglans sur les rochers et les vieux arbres des forêts calédoniennes. Je choisirai pour théâtre de leur chronique et de leurs aventures le comté de Fife, l’un des plus riches de l’Écosse en ruinés curieuses, en scènes abruptes et en points de vue pittoresques.

Il y a une cinquantaine d’années, un voyageur de ce comté se trouvait, par un jour d’hiver, devant la forge d’un maréchal ferrant,

  1. Les Smiths recherchent quelquefois le voisinage de la mer, et j’en ai rencontré plusieurs sur la côte de Norfolk : leurs tentes déployées sur les dunes, cette vie amère et agitée comme le flot, tout cela produit aux yeux du voyageur une association de faits singuliers. Il paraît que les membres des différentes tribus se réunissent une ou deux fois par an dans des espèces de meetings, mais les gypsies que j’ai interrogés à cet égard gardaient le silence sur ce qui se passe dans ces assemblées.