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civilisé, les czigani jouent du violon avec un talent remarquable Des troupes de ces musiciens au teint bronzé se sont fait entendre avec succès dans les grandes capitales de l’Europe ; mais c’est surtout en Russie que cette faculté musicale de la race produit les fruits les plus riches et les plus délicats. À Moscou, des femmes gypsies donnent des concerts sur la scène et dans les salons de la noblesse. Là, il est sorti de cette souche d’Égypte si généralement méprisée des vocalistes de premier ordre. M. Borrow a recueilli de curieux exemples de cette aptitude musicale des Romany, et les faits qu’il cite m’ont été confirmés par des Anglais qui avaient voyagé en Russie. Mme Catalani fut si enchantée à Moscou du talent d’une cantatrice gypsy, qui venait de réciter devant un nombreux et brillant auditoire un des airs nationaux du peuple maudit, qu’elle détacha de ses épaules un châle de cachemire dont le pape lui avait fait présent, et qu’embrassant la gypsy, elle lui dit : « Ce châle vous appartient ; il était destiné à la meilleure chanteuse du monde. Or je vois maintenant que cette chanteuse-là, ce n’est pas moi. » Les engagemens obtenus par plusieurs de ces femmes gypsies dans l’exercice de leur art les mettent à même de soutenir richement leurs nombreuses familles. Il y en a qui habitent d’opulentes maisons, qui voyagent dans d’élégantes voitures, et qui ne se montrent inférieures ni en développement intellectuel, ni en belles manières, aux classes les plus distinguées. Quelques-unes d’entre elles se sont mariées à des Russes. La comtesse de Tolstoy, une des comtesses moscovites les plus accomplies, était de naissance une zigana ; elle avait chanté à Moscou dans un chœur de Romany. En présence de ces faits, il y a lieu de se demander si le don de la musique cultivé avec discernement ne serait point en Angleterre comme en Russie, car cette race est partout la même, un moyen de régénération morale pour un certain nombre de gypsies.

La musique et la danse sont sans contredit parmi les arts ceux pour lesquels les gypsies témoignent le plus d’attrait ; mais ils ont aussi une littérature. Il ne faut point confondre, comme on l’a fait plusieurs fois, le dialecte des Romany avec l’argot des voleurs, quoique dans les deux cas le langage soit en même temps et un moyen de communication et un voile dont les initiés se servent pour échanger et pour couvrir l’expression de leurs idées. L’argot est un jargon ; le romany est une langue. Sa naissance est illustre : fille du sanscrit et du zend, elle a conservé les traces de sa noble origine. On a cru longtemps que cette langue ne pouvait pas s’écrire : c’est une erreur. Durant son séjour en Espagne, M. Borrow traduisit, vers 1838, la Bible en romany : c’était la première fois qu’un