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la scène galante qui l’animait, jusqu’aux accords badins et précieux de cette vieille musique française qui se mariait sans façon aux aigres soupirs de la bise dans les longs corridors, était fait pour étonner la raison d’un voyageur et embrouiller les notions d’un habitant de l’Italie.

En voyant les vastes salons et la longue galerie à plafond peint de divinités mythologiques remplis de bruit et de monde, Cristiano se demanda sérieusement si ces gens-là n’étaient pas des fantômes évoqués par les sorcières de la solitude pour se moquer de lui. D’où sortaient-ils avec leurs toilettes rococo, leurs habits à paillettes et leurs dames poudrées, souriantes dans des flots de plumes et de dentelles ? Le château magique n’allait-il pas disparaître d’un coup de baguette, et ces pimpans danseurs de menuet et de chaconne n’allaient-ils pas s’envoler sous la forme d’aigles blancs ou de cygnes sauvages ?

Cristiano avait pourtant déjà remarqué la physionomie particulière des mœurs de la Suède : l’isolement aventureux des habitations, l’énorme distance qui les sépare des petits groupes honorés du nom de villages ; l’éparpillement de ces mêmes villages s’étendant quelquefois sur une surface de deux ou trois lieues et ralliés seulement par le dôme verdâtre du clocher de la paroisse ; le mépris des nobles pour le séjour des villes, attribué exclusivement aux bourgeois commerçans ; enfin la passion du désert jointe, par un bizarre contraste, à la passion d’une locomotion effrénée, en vue des réunions soudaines et en apparence impossibles. Mais Cristiano, bien qu’appelé à une fête de campagne, n’avait pas prévu que ces instincts caractéristiques du Suédois dussent augmenter en raison de la rigueur du climat, de la longueur des nuits et de la difficulté apparente des communications. C’est pourtant là une conséquence naturelle du besoin que l’homme éprouve de vaincre la nature et de mettre à profit les compensations qu’elle lui présente. Il y avait deux mois que le baron avait fait savoir à cinquante lieues à la ronde qu’il recevrait la noblesse du pays aux fêtes de Noël. Le baron n’était estimé ni aimé de personne, et cependant, depuis quelques jours, le château était plein d’hôtes empressés, venus des quatre points cardinaux, à travers les lacs, les forêts et les montagnes.

L’hospitalité est proverbiale en Dalécarlie, et, comme l’amour du désert joint à celui du plaisir, elle augmente à mesure que l’on s’enfonce dans les régions difficiles et reculées. Cristiano, qui avait remarqué cette admirable bienveillance pour les étrangers de la part des Suédois, surtout lorsqu’on parle leur langue, avait peu songé à la difficulté de s’introduire dans une réunion où l’on n’est connu de personne, lorsqu’à cet inconvénient se joint celui de n’a-