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faire des questions intelligentes. Il avait traversé Falun dans la matinée, il était descendu dans la grande mine, et il avait recueilli, pour sa satisfaction personnelle, des échantillons intéressans, au grand mépris de Puffo, qui le regardait parfois comme un cerveau détraqué. Il savait bien en outre qu’il suffit, en général, d’écouter avec respect un savant vaniteux et de provoquer l’étalage de sa science pour être jugé par lui très intelligent. C’est ce qui ne manqua pas d’arriver. Sans songer à lui demander son nom, son pays ou sa profession, le professeur fit à Cristiano la description minutieuse du monde souterrain, à la surface duquel il ne se souciait que de lui-même, de sa réputation, de ses écrits, enfin du succès de ses observations et découvertes.

Dans tout autre moment, Cristiano l’eût écouté avec plaisir, car il voyait bien, en somme, qu’il avait affaire à un homme très ferré sur son sujet, et il s’intéressait vivement pour son compte à toute étude sérieuse de la nature ; mais Marguerite approchait, et le savant, remarquant la préoccupation soudaine du jeune homme, leva son bon œil dans la même direction et s’écria : — Ah ! voici ma fiancée ! je ne m’étonne plus ! Parbleu ! mon cher ami, il faut que je vous présente à la plus aimable personne du royaume.

— C’est donc lui ! pensa Cristiano stupéfait : c’est décidément le baron Olaüs ! Il est fou ; mais c’est bien là le vieillard à qui cette rose des neiges doit être sacrifiée !

Il se confirma dans cette croyance, mais avec un étonnement nouveau, quand il vit Marguerite hâter le pas de son côté, en disant à Mlle  Potin : — Enfin voilà mon amoureux ! — Puis elle ajouta en tendant la main au vieillard avec un sourire presque caressant : Mais à quoi songez-vous, monsieur, de vous cacher dans ce petit coin quand votre fiancée vous cherche depuis une heure !

— Vous le voyez, dit le savant avec une satisfaction naïve à Cristiano, elle me cherche, elle s’ennuie quand je ne suis pas auprès d’elle ! Que voulez-vous, ma belle amoureuse ? Tout le monde veut me consulter, ce n’est pas ma faute, et voilà un charmant jeune homme, un voyageur… français, n’est-ce pas ? ou italien, car vous avez un tout petit accent étranger ? Permettez-moi, comtesse Marguerite, de vous présenter mon jeune ami, M. de… Comment vous nommez-vous ?

— Christian Goefle, dit Cristiano avec aplomb.

Ce nom usurpé, surtout cette voix et cette prononciation qu’elle avait toutes fraîches dans l’oreille firent tressaillir Marguerite.

— Vous êtes le fils de M. Goefle ? dit-elle vivement. Oh ! c’est singulier comme vous lui ressemblez !

— Il n’y aurait rien de singulier à se ressembler de si près, répondit le savant ; mais monsieur ne peut-être que le neveu de Goefle,