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— Ceci est une politesse dont nous vous remercions, dit la comtesse ; mais vous nous flattez. Nous ne le parlons probablement pas aussi bien que vous. Quant à l’italien, nous le parlons encore moins bien, quoiqu’il entre dans notre éducation, pour peu qu’elle ait été soignée. Vous le parlerez avec ma nièce, et, si elle l’estropie, moquez-vous d’elle, je vous prie ; mais d’où vient que M. Goefle tenait tant aux langues vivantes ? Est-ce qu’il vous destine à la carrière diplomatique ?

— Peut-être, madame la comtesse ; je ne sais pas encore bien ses intentions.

— Fi ! pouah ! s’écria le géologue.

— Doucement, cher savant, reprit la comtesse. Il y a beaucoup à faire aussi de ce côté-là. Toutes les carrières sont belles quand on sait y marcher.

— Si madame la comtesse daignait me conseiller, reprit Cristiano, je m’estimerais très heureux de lui devoir une bonne inspiration !

— Eh bien ! je ne demande pas mieux, répondit-elle en affectant une aimable bonhomie ; nous causerons ensemble, et je m’intéresserai à vous, d’autant plus que vous avez tout ce qu’il faut pour réussir dans le monde. Suivez-nous donc à la salle de danse. Je voudrais absolument décider ma nièce à danser au moins un menuet ; ce n’est pas fatigant, et son refus paraîtrait fort maussade. Vous entendez, Marguerite ! Il faut faire comme tout le monde.

— Mais, ma tante, dit Marguerite, tout le monde n’a pas mal au pied !

— Dans le monde, ma chère enfant, reprit la comtesse, et je dis cela aussi pour vous, monsieur Goefle, il faut n’avoir jamais d’empêchement quand il s’agit d’être agréable ou convenable. Retenez bien ceci, qu’on ne manque jamais sa destinée que par sa propre faute. Il faut avoir une volonté de fer, surmonter le froid et le chaud, la soif et la faim, les grandes souffrances aussi bien que les petits bobos. Le monde n’est pas, comme se l’imagine la jeunesse, un palais de fées où l’on vit pour son plaisir. C’est tout au contraire un lieu d’épreuves où tous les besoins, tous les désirs, toutes les répugnances doivent être surmontés avec un véritable stoïcisme,… quand on a un but ! et quiconque n’a pas de but n’est qu’un sot personnage. Demandez à votre amoureux, Marguerite, s’il pense à ses petites aises, et s’il craint de se faire du mal quand il descend dans un gouffre pour y chercher ce qui est le but de sa vie ! Eh bien ! sous les voûtes des palais aussi bien que dans les cavernes des mines, il y a des horreurs à braver. Celle de danser avec une petite douleur à la cheville est bien peu de chose auprès de tant d’autres que vous connaîtrez plus tard. Allons, levez-vous, et venez !