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La comtesse Elfride avait cru l’emporter. Ses plans étaient déjoués, le vieux épouseur ouvrait les yeux… Il se sentit ridicule, et jura de se venger de la tante aussi bien que de la nièce ; mais à ce serment, rapidement formulé en lui-même, il joignit la résolution de n’être pas joué deux fois, et de faire seul ses affaires en s’adressant à la première fille bien née qui le verrait d’un bon œil. Cette fille, c’était Olga ; il n’en put douter lorsqu’elle lui raconta tout bas comme quoi Marguerite lui avait cédé ses droits et prétentions sur son cœur. Elle fit ce caquet avec une grande candeur d’effronterie, et en ayant l’air de plaisanter comme une enfant qu’elle était à beaucoup d’égards, mais en femme que l’ambition dévorait déjà et inspirait à propos. Le baron, qui ne manquait pas d’esprit, soutint le badinage, et parut n’y attacher aucune importance ; mais quand la danse fut finie, au lieu de ramener Olga à sa place, il lui offrit le bras pour la conduire dans la galerie, dont la vaste étendue permettait les apartés, et là il lui dit froidement, en prenant sa main brûlante dans ses mains glacées : — Olga, vous êtes jeune et belle ; mais vous êtes pauvre, et de trop bonne famille pour épouser un joli garçon sans naissance. Il ne tient qu’à vous que votre badinage n’en soit pas un. Je vous offre mon nom et un sort brillant. Répondez sérieusement et tout de suite, ou de ce que nous disons là il ne sera plus jamais question.

Olga était en effet jeune, belle, pauvre, vaine et avide. Elle saisit l’occasion aux cheveux et accepta sans hésiter. — C’est bien, je vous remercie, lui dit Olaüs en lui baisant la main. Permettez-moi de ne pas ajouter un mot. Je serais ridicule si je vous parlais d’amour. Cela vous ferait penser que je peux me croire aimé. Nous nous marions, voilà qui est convenu, et nous avons de fortes raisons pour nous y décider l’un et l’autre, voilà qui est certain. Maintenant, si vous tenez à ce que ce mariage se fasse, je vous demande un secret absolu pendant quelques jours, et surtout vis-à-vis de la comtesse Marguerite et de sa tante. Pouvez-vous me le promettre ? Songez qu’une indiscrétion romprait tout entre nous.

Olga avait trop d’intérêt à se taire pour ne pas promettre sincèrement. Le baron la ramena au grand salon. Leur disparition avait été si courte que, si elle fut remarquée, elle ne put tirer à conséquence. La comtesse d’Elvéda s’en émut pourtant, et vint savoir ce que sa nièce était devenue. — Ne vous en inquiétez pas, lui dit Olga ; elle était ici tout à l’heure.

— Elle se cache, elle s’obstine à ne pas danser !

— Nullement, dit le baron ; elle s’était résignée. C’est moi qui n’ai pas voulu abuser de son obligeance. — Et, offrant le bras à la comtesse, il s’éloigna avec elle pour lui dire qu’il n’entendait pas être aimé par contrainte, qu’il était assez grand garçon pour faire