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plus me refuser, et je suis bien certain qu’elle consentira de bonne grâce.

— Si vous l’exigez, baron, je cède, dit la comtesse. Allons, Marguerite, remerciez le baron, et suivez-le ; ne voyez-vous pas qu’il vous offre son bras pour la polonaise ?

Marguerite sembla hésiter ; ses yeux rencontrèrent ceux de Christian, qui certes était partagé entre le désir de la voir rester et la crainte de la voir céder. Ce dernier sentiment l’emporta peut-être dans l’expression de son regard, tant il y a que Marguerite répondit avec fermeté au baron qu’elle était engagée.

— Avec qui, je vous prie ? s’écria la comtesse.

— Oui ! avec qui ? dit le baron d’un ton singulier, dont le calme ne parut pas de bon aloi à Marguerite.

Elle baissa les yeux et se tut, ne comprenant pas ce qui se passait dans l’esprit du persécuteur dont elle s’était cru débarrassée.

Le baron n’avait qu’une pensée, celle de la tourmenter et de la compromettre ; il voyait bien l’aversion qu’elle éprouvait pour lui, et il la lui rendait cordialement. Froidement méchant et vindicatif, il affecta de plaisanter ; mais, parlant assez haut pour être entendu de beaucoup d’oreilles curieuses : — Où est donc, dit-il, cet heureux mortel à qui je dois vous disputer ? car je suis résolu à vous disputer, j’en ai le droit !

— Vous en avez le droit ? s’écria Marguerite hors d’elle-même, vous, monsieur le baron ?

— Oui, moi, reprit-il avec une effrayante tranquillité de persiflage, vous le savez bien ! Voyons, où est-il, ce rival qui prétend danser avec vous à ma barbe ?

— Le voici ! répondit Cristiano, perdant la tête et s’élançant vers le baron d’un air menaçant, au milieu d’un silence de stupeur et de curiosité générale.

On savait le baron fort irascible sous son air endormi et blasé. On connaissait son indomptable orgueil. On s’attendait à une scène violente, et en effet le baron, devenu tout à coup d’une pâleur verdâtre, clignait ses grands yeux myopes, comme si la foudre allait s’en échapper pour anéantir l’audacieux inconnu qui le bravait si ouvertement ; mais le sang reflua à son front, qui sembla sillonné d’une grosse veine sanglante, tandis que ses lèvres devinrent plus livides que le reste de sa figure. Un cri sourd s’échappa de sa poitrine, ses bras s’étendirent convulsivement, et il s’affaissa sur lui-même en disant : — Voilà, voilà !

Il serait tombé à terre si vingt bras ne se fussent étendus pour le soutenir. Il était évanoui, et on dut l’emporter vers une fenêtre dont on brisa précipitamment les vitres pour lui donner de l’air. Olga se fit jour à travers la foule pour lui porter secours. Margue-