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contredanse, et que vous causiez ensemble de bonne amitié. Si vous n’êtes pas amoureux d’elle,… ma foi, vous avez tort ; et si elle n’a pas un peu de goût pour vous, elle a peut-être tort aussi, car vous nous paraissez à tous un charmant compagnon.

— Quant à moi, j’aurais parfaitement tort, je vous jure, de regarder avec convoitise un astre trop élevé sur mon horizon.

— Bah ! parce que vous n’êtes pas titré ? Mais votre famille a été ennoblie, et votre oncle l’avocat est une illustration par son talent et son caractère. En outre, il est riche au moins autant que la belle Marguerite, et elle ne sera pas toujours en tutelle. L’amour aplanit les obstacles, et quand on a des parens fâcheux, on se fiance en secret. Dans notre pays, ces fiançailles-là sont aussi sacrées que les autres. Donc, si vous voulez pousser votre pointe, nous voilà prêts à vous aider.

— M’aider à quoi ? dit Cristiano en riant.

— À obtenir tout de suite une entrevue à l’insu de la tante. Voyons, camarades, qu’en dites-vous ? Nous voici quatre de bonne volonté. Je sais, moi, où est situé l’appartement. Nous nous y rendons tout de suite. Si Mlle Potin s’effraie, nous lui faisons des complimens,… qu’elle mérite au reste, car c’est une personne charmante ! Si une fille de chambre crie, nous l’embrassons et lui promettons des rubans pour sa chevelure. Enfin nous demandons pour M. Christian Goefle un entretien sérieux de la part de M. Goefle, son oncle… Une communication importante ?… Hein ? c’est cela. On nous introduit, sans nos pipes par exemple, dans un petit salon, où nous nous asseyons gravement à l’écart, pendant que Christian Goefle offre son cœur à voix basse à la diva contessina, ou s’il est trop timide encore pour se déclarer, il se laisse pressentir, tout en s’informant des dangers que court son incomparable, et en se mettant avec elle en mesure de les conjurer. Je ne ris pas, messieurs ! Il est bien évident que Mme d’Elvéda veut forcer l’inclination de sa pupille, et que le sournois Olaüs veut la compromettre pour écarter tout autre prétendant. Eh bien ! la situation est magnifique pour l’homme qui, en plein bal, a pris fait et cause pour la victime de cette odieuse et ridicule machination. Venez, Christian ; venez, messieurs ; y sommes-nous ? Eh ! parbleu, c’est à charge de revanche ! Une autre fois, c’est vous, Christian, qui servirez nos honnêtes amours ; on se doit cela entre jeunes gens. Où en serions-nous tous, si nous n’étions pas confidens dévoués les uns des autres ? En avant ! À l’assaut de la citadelle ! Qui m’aime me suive !

Tous se levèrent, même Cristiano, enivré de la proposition ; mais il s’arrêta sur le seuil de la salle, et arrêta les autres. « Merci, messieurs, leur dit-il, et comptez que dans l’occasion je me mettrais au