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nuelles révoltes, le vice-roi Azoph-oud-Daoulah dirigea contre eux en personne une expédition victorieuse, prit leur château de Muchie-Bhaoun, et, trouvant la situation à son gré, transféra la capitale du pays dans cette ville nouvelle, dont il hâta le développement.

Au moment où éclata l’insurrection indienne de 1857, Lucknow comptait près de cent cinquante mille habitans, et parmi eux des classes nombreuses de mécontens. L’absorption du royaume d’Oude avait entraîné la dispersion des milliers de parasites que le prince entretenait autour de lui : le harem, objet de folles dépenses, n’alimentait plus diverses industries spéciales, qui avaient à se créer de nouvelles ressources au milieu de tous les inconvéniens d’une situation transitoire. L’état-major de l’armée du nabab, brusquement rejeté dans la vie civile, peuplait Lucknow d’aventuriers affamés pour qui le métier des armes n’avait pas d’équivalent. Leur situation était à certains égards celle des officiers de l’armée de la Loire en 1816 et 1817. « Je suis soldat et gentilhomme, disait l’un d’eux, ex-capitaine de cavalerie ; je ne puis pas travailler : si on ne me rend pas mon grade, je serai réduit, à me faire brigand. » Et l’alternative lui paraissait toute naturelle. À côté de ces soldats oisifs pullulaient les prêtres, les fakirs, ardens « à prêcher la guerre sainte contre les infidèles, et dont il fallut plus d’une fois, dès le début, châtier à coups de fouet l’éloquence incendiaire ; puis une populace misérable, comme il en grouille dans les bas-fonds de toute grande ville d’Orient, populace ignorante et crédule, prête à tous les désordres, heureuse de toute occasion de pillage. Tels étaient les élémens, très inflammables, on le voit, qui s’agitaient au centre d’un pays nouvellement occupé, où l’Angleterre n’avait pour toute force armée que neuf cents soldats européens[1] et vingt-deux mille soldats indigènes[2], ceux-ci tout disposés, l’événement l’a prouvé, à donner le signal de l’insurrection.

Un nouveau commissaire en chef de la compagnie venait d’être envoyé dans la province d’Oude pour y réparer les fautes du premier agent appelé à remplir ces importantes et délicates fonctions : c’était sir Henry Lawrence. Son frère (sir John Lawrence) et lui s’étaient fait remarquer dans les campagnes du Punjab et du Sindh par leurs talens administratifs en même temps que par leur intrépidité mili-

  1. Savoir : un régiment d’infanterie, le 32e, une compagnie d’artillerie à cheval, deux compagnies d’artillerie à pied, un régiment de cavalerie légère.
  2. Savoir : sept régimens d’infanterie indigène, trois batteries de campagne de la cavalerie irrégulière de l’Oude, dix régimens d’infanterie irrégulière levée dans le pays, trois régimens de police. Les « irréguliers, » c’est-à-dire ceux qui, pris dans l’armée de l’ex-nabab, étaient depuis peu de temps au service de la compagnie, se montrèrent, — circonstance étrange, — beaucoup moins hostiles, beaucoup moins altérés de sang que les cipayes de l’armée du Bengale.