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En somme, commencée avec de bien meilleures chances que celle de Meerut, l’insurrection de Lucknow devait échouer bien plus complètement. Sir Henry Lawrence n’était pas un Hewett[1]. Arrivé au camp avec son état-major en aussi peu de temps que ses chevaux purent l’y conduire, il trouva, déjà rangés en bataille, les trois cents hommes du 32e (infanterie européenne). Deux canons des irréguliers d’Oude, mis en batterie, étaient braqués de manière à balayer tout le front des lignes du 71e et aussi la route menant des cantonnemens à Lucknow. Empêcher toute communication entre ces deux points était de toutes les nécessités la plus impérieuse. Sir Henry Lawrence y pourvut en se plaçant lui-même, à la tête d’une compagnie du 32e en travers de la route. Le 7e de cavalerie (indigène), campé à Modkipore, c’est-à-dire au-delà et au nord des cantonnemens, était accouru au bruit de la fusillade, amené par ses officiers. Il comptait environ cent cinquante sabres, divisés en trois escadrons. En arrivant en face des lignes, où les révoltés, occupés à chercher leurs officiers, à piller et brûler leurs habitations, entretenaient un feu très irrégulier, une trentaine de ces cavaliers quittèrent le rang et partirent au galop dans la direction des cantonnemens. Ils passaient à l’ennemi, et on n’entendit plus parler d’eux. Le reste heureusement demeura fidèle. Grâce à cette circonstance, on put former des patrouilles à cheval qui parcoururent les entours de la résidence (celle des cantonnemens, qu’il ne faut pas confondre avec celle de la ville), et même les chemins que traversaient dans toutes les directions les balles des insurgés. Ces patrouilles ne pouvaient empêcher ni l’incendie ni le pillage ; elles sauvèrent seulement quelques malheureux officiers échappés de leurs messes, et qui s’étaient dérobés au massacre. Plusieurs autres avaient déjà péri : le lieutenant Grant, par exemple, fils du gouverneur de Madras, et qui commandait le piquet de garde, abandonné par la plupart de ses hommes, avait été caché sous un lit par ceux qui étaient restés auprès de lui. L’un d’eux s’était offert à le garder. Les révoltés arrivant, ce misérable, soit trahison ou lâcheté, leur indiqua l’asile du jeune lieutenant, qui fut immédiatement massacré. Son cadavre témoignait de la fureur des mutins. Déjà criblé de balles, ils l’avaient littéralement lardé à coups de baïonnette. Le même soir périt aussi un des vétérans de Sutledje, le colonel Handscombe, dont la mort est diversement racontée[2].

  1. Le général Hewett commandait à Meerut le 10 mai 1857. Il dînait paisiblement à bord d’un steamer pendant que les cipayes dévastaient la ville et se retiraient ensuite tout à leur aise, et cela devant deux mille soldats anglais qu’on laissait inactifs !
  2. MM. Mead et Rees le font périr victime de son humanité et de sa confiance dans les cipayes qu’il était chargé d’attaquer. « Prenez garde de tirer sur des amis ! » aurait-il dit à ses soldats, et, s’avançant seul vers ces « amis, » serait tombé sous un feu de peloton. Toutefois l’officier d’état-major anonyme, dont le journal est beaucoup plus méthodique et beaucoup plus précis, nous raconte que le colonel Handscombe, revenant des lignes du 71e, fut tué par une balle égarée, partie de ces mêmes lignes. « Il tomba mort de son cheval, nous dit le Journal, au moment où il arrivait sur le flanc du 32e. »