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leur caserne et pillèrent encore quelques bazars, après quoi ils se mirent en retraite.

Ces désordres duraient depuis onze heures du matin, lorsqu’un peu avant minuit le conseil de guerre décida qu’il fallait donner chasse aux insurgés. On partit aussitôt l’ordre donné, les pièces attelées à la hâte, la cavalerie s’organisant comme elle put, et chacun sautant sur le premier cheval qui se rencontrait. L’infanterie devait suivre de son meilleur pas. Quelques volontaires à pied avaient trouvé place sur les caissons de l’artillerie. On se demande ce que pouvaient espérer une cinquantaine de cavaliers (la plupart militaires de rencontre et non de profession), lancés ainsi, avec une soixantaine de fantassins ou d’artilleurs, contre une colonne de sept ou huit cents hommes. De fait, la poursuite n’eut que d’assez pauvres résultats. On atteignit les révoltés à l’ouest de la ville, qu’ils tournaient pour aller rejoindre la route de Cawnpore. Quelques volées de canon trouèrent leurs rangs (car ils marchaient en bon ordre, sans se presser, se formant en carré dès qu’ils étaient menacés d’une charge), et tout au plus put-on en sabrer une douzaine, attardés à l’arrière-garde. On ramena aussi une douzaine de prisonniers. Presque aussitôt cependant il fallut s’en retourner. Le colonel Inglis, chef de cette petite expédition, jugea, bien évidemment avec raison, que les chances d’une attaque étaient trop inégales et que ses canons seraient trop compromis, si leur petite escorte venait à être mise en déroute. Il ordonna de revenir sur Lucknow.


IV

Les derniers jours de juin se passèrent sans événemens notables. Nonobstant la chaleur intense, la petite vérole et le choléra, qui commençant à sévir, décimait particulièrement la petite garnison de la Muchie-Bhaoun, on préparait sans relâche les élémens de la défense ultérieure. On élevait des batteries, on augmentait les approvisionnemens, on enterrait le trésor monnayé[1]. Dans les compounds (espaces enclos), la paille destinée aux bestiaux était amoncelée et mise, autant que possible, à l’abri de l’incendie ; on formait au tir du fusil, et même du canon, les Européens civils et les eurasiens qu’on avait enrégimentés. Ce fut dans le principe une tâche assez pénible que d’habituer à la rigoureuse discipline du soldat ces malheureux employés, scribes pour la plupart ou commis de négoce, habitués à régler eux-mêmes leur vie, à se regarder comme entièrement indépendans de l’autorité militaire. Le capitaine Anderson entre là dessus dans des détails un peu trop gais peut-être. Il est

  1. Il s’élevait à 24 ou 25 lakhs de roupies, — entre 6 et 7 millions de francs.