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Du côté de Cawnpore cependant, il n’arrivait que de sombres nouvelles. Une lettre, dictée le 18 juin par sir Hugh Wheeler et qui fut remise le 20 à Lucknow, démentait la prétendue arrivée de renforts européens. Tout au plus pourrait-on tenir quinze jours encore. Une barque, chargée de fugitifs européens partis de Futtighur, avait été interceptée avant d’arriver à Cawnpore, et ces malheureux avaient péri jusqu’au dernier. La terrible catastrophe s’annonçait ainsi, et on peut se faire une idée de ce que souffrait sir Henry Lawrence, hors d’état de porter secours à son frère d’armes. Comment l’eût-il fait ? Sans parler des soins impérieux qui jour et nuit réclamaient sa présence, des quatre ou cinq mille coolies dont il avait à diriger les travaux, des mesures de police qu’il fallait prendre pour ainsi dire à chaque minute, il était lui-même menacé d’une attaque prochaine. Lucknow ne bougeait pas ; mais les environs se garnissaient peu à peu d’ennemis. Dès le 17 juin, on lui signalait des agglomérations menaçantes dans le voisinage des cantonnemens, dont il fallut aussitôt préparer l’évacuation pour le cas où elle deviendrait indispensable. Le 25, les rapports des espions indigènes mentionnaient une force considérable arrivée à Nawabgunge, où l’ennemi avait fait halte, ralliant des renforts qui lui arrivaient de tous côtés. Le 27, on parlait de cette petite armée comme grossissant d’heure en heure, mais indécise dans ses plans d’attaque. En présence d’éventualités aussi menaçantes, le commissaire en chef ne pouvait se préoccuper que de Lucknow, et il précipitait avec une activité, une énergie presque surhumaines, les travaux qu’il avait entrepris depuis quelques semaines. La batterie du redan, celles qui ouvraient sur la route de Cawnpore, une grosse tour ajoutée à la Muchie-Bhaoun ; autour de la résidence, toutes les maisons situées favorablement transformées en autant de forts détachés ; d’ouvrages extérieurs ; au-devant de ces maisons, le terrain déblayé à grand renfort de sape et de mine ; les toits des maisons enlevés ; une porte monumentale minée et détruite à grand’peine ; les magasins de tout ordre fouillés, et ce qu’ils renfermaient d’utile transporté dans la résidence ; tout un parc d’artillerie (deux cents pièces de canon) découvert à l’improviste dans un des palais de l’ex-roi, et qu’il fallut amener en dedans des fortifications ; des exercices, des revues continuelles : telles furent les préoccupations et les travaux des derniers jours où sir Henry Lawrence demeura libre de ses mouvemens. Se retirer, il le pouvait encore. Ni ses instructions, ni les lois de l’honneur militaire ne s’y opposaient. Il n’y songea pas un instant.

Le 29 juin, une patrouille fut envoyée du côté de Cawnpore, afin d’obtenir, si la chose était possible, quelques renseignemens sur le sort de la place, que de vagues rumeurs disaient avoir été livrée à