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de Gray et d’autres bois fort compactes, peu ou pas de clairières. Le combat n’a pu avoir lieu dans cet espace. Voudra-t-on ne pas s’attacher scrupuleusement à la distance de dix milles que César met entre les deux armées et arrêter Vercingétorix sur l’Ognon, vers Marnay ? Il y a près de cette rivière, du côté de Cugney, des terrains plus découverts, et c’est là en effet que M. Delacroix a placé le champ de bataille[1] ; mais pour accepter cette donnée, il faudrait admettre que Vercingétorix fût resté immobile dans son camp pendant que les Romains consacraient la journée presque entière à passer paisiblement la Saône et les bois. C’est donc au sud de l’Ognon qu’il faut porter notre attention. Voici bien entre Pontaillier et la forêt de Serre un terrain légèrement ondulé, très boisé encore, mais enfin où l’on peut manœuvrer et combattre. Sans aller jusqu’au Mont-Guérin, voici entre Brans et Offlange des hauteurs dont l’occupation peut bien avoir terminé la bataille. Il faut, il est vrai, faire camper Vercingétorix sur un simple ruisseau qui n’a même pas de nom, et qui se jette dans l’Ognon à Montrambert ; mais le mot flumen n’avait pas en latin un sens aussi restreint que le mot fleuve en français. Ici donc encore il n’y a pas d’impossibilité topographique absolue.

Mais lorsque deux armées campent un soir à trois lieues l’une de l’autre, et que le lendemain l’une d’elles franchit une grande rivière qui les sépare, on peut bien dire que ce passage a eu lieu en présence de l’ennemi. Or c’est là, selon Napoléon, une des opérations les plus difficiles qu’il y ait à la guerre, et César était si bien de cet avis qu’il raconte tous ses passages de rivières avec les plus grands détails, au point même de devenir presque prolixe quand il touche à de semblables sujets. Cette fois pas un mot. Comment croire cependant que les Gaulois, si pleins d’ardeur, n’aient pas même inquiété l’ennemi en ce moment critique ? Sont-ils arrivés trop tard ? César avait-il pris dans la soirée précédente ou dans la nuit des dispositions telles que le matin déjà il fut à l’abri de toute attaque ?

  1. Cugney est à peu près le centre du vaste champ de bataille dont M. Delacroix a ébauché les limites dans son mémoire. Cette position nous paraissait déjà un peu en dehors et à l’est de la direction que devait suivre César partant de Gray ou de Mantoche pour gagner Genève par Salins ; mais dans une brochure publiée depuis que nous avons achevé ce travail, et dont nous reparlerons plus loin, M. Quicherat incline encore plus vers l’est, fait du Mont-Colombin le théâtre du combat, et place ensuite les bagages sur les hauteurs de Gy. Si c’est entre ces points que la marche de l’armée romaine a été arrêtée par sa rencontre avec les troupes de Vercingétorix, ce n’est plus vers Salins que cette armée devait essayer de franchir la première chaîne du Jura ; son point de direction était Besançon, position déjà fort importante alors, décrite avec grand soin au deuxième livre des Commentaires, mais qui n’avait aucun rôle à jouer dans la septième campagne, telle qu’elle est expliquée par M. Quicherat.