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de celle des noirs indigènes de l’Afrique, après avoir vécu obscurément pendant des siècles, se levaient dans l’ouest à la voix d’un prophète musulman, et, s’avançant vers l’est, subjuguaient tout sur leur passage. Dans le bassin du Niger, d’où ils allaient déborder, ainsi que nous l’avons vu, jusque dans celui du Tsad, ils s’emparèrent de Timbuktu. Toutefois les Maures défendirent assez vaillamment leur ancienne conquête : chassés pour un temps, ils firent un retour offensif à la suite duquel une sorte de compromis est intervenu entre les anciens maîtres et les nouveaux ; ceux-ci ont conservé le pouvoir politique, mais c’est parmi les premiers qu’est choisi le chef religieux. On comprend que cet état de choses, avec la rivalité permanente qui en résulte, est une source de troubles continuels et ne saurait être durable. Il n’existait pas encore lorsque René Caillié pénétra dans cette ville en 1828. Nous n’avons pas à rappeler ici à la suite de quelles épreuves et de quels périls ce voyageur, qui fait tant d’honneur à la France, vit la mystérieuse et terrible cité aux portes de laquelle le major Laing, l’un des Anglais les plus intrépides qui se soient voués à l’exploration de l’Afrique, venait de trouver la mort. Ce qu’il fallut à notre compatriote d’abnégation, de courage et de patience, tous ceux qui ont tenu dans leurs mains sa relation de voyage simple et modeste le savent. Cette relation cependant, par une injustice ou une aberration d’esprit singulière, devait être traitée de fable par quelques géographes, et la bonne foi de l’un des voyageurs les plus sincères devait être quelque temps suspectée ; mais M. Barth, avec la franchise qui accompagne le véritable mérite, a rendu justice à son devancier et porté témoignage de sa véracité. « Je proclame, écrivait-il à son retour de Timbuktu, M. René Caillié un des plus sincères voyageurs ; certainement ce n’était pas un homme scientifique, mais sans instrumens, avec les moyens les plus faibles possibles, il a fait plus que personne n’eût pu faire dans des circonstances semblables. »

Voici le tableau que les deux voyageurs, chacun de son côté, font de la ville : « Elle forme, dit Caillié, une espèce de triangle ; les maisons y sont grandes, peu élevées et consistent seulement en un rez-de-chaussée. Elles sont construites en briques de forme ronde, pétries et séchées au soleil. Les rues sont propres et assez larges pour y laisser passer trois cavaliers de front… Cette ville renferme trois mosquées, dont deux grandes, qui sont surmontées chacune d’une tour en briques. Elle est située dans une immense plaine de sable blanc et mouvant sur lequel croissent seulement de maigres arbrisseaux rabougris… Elle peut contenir dix ou douze mille habitans, tous commerçans ; il y vient souvent aussi beaucoup d’Arabes en caravanes, qui en augmentent momentanément la population. » Lorsqu’à son tour M. Barth a séjourné à Timbuktu, il y a trouvé une population d’environ vingt mille âmes. « La ville, dit-il, est de forme triangulaire ; les maisons y sont bâties en terre ou en pierre, la plupart avec des façades assez bien travaillées. Son marché, vanté comme le centre du commerce des caravanes de l’Afrique septentrionale, est moins étendu que celui de Kano, mais les marchandises y paraissent être de qualité supérieure. Le pays où cette ville est située se trouve sur les confins du désert de Sahara, et lui ressemble par la sécheresse et la stérilité, excepté du côté du fleuve, où le sol prend une apparence plus