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Comment ne relève-t-il pas la faute de l’ennemi ? Pourquoi ne nous donne-t-il pas un de ces récits sobres, nerveux, mais dont la simplicité n’exclut pas l’orgueil, et qui font si bien ressortir son génie et sa bonne fortune ? N’importe ! admettons qu’il a persisté dans la disposition particulièrement silencieuse où nous venons déjà de le surprendre. C’est sur la Saône même qu’il a campé la veille à quinze kilomètres de l’ennemi, et le matin il la franchit sans coup férir. Sans doute les Gaulois avaient brûlé les ponts, s’il y en avait. Il avait donc fallu en établir, puis les replier. Les troupes se reforment et se remettent en marche. On aperçoit l’ennemi ; on fait halte, le convoi se serre pour se placer au milieu des légions, et à l’ordre en colonne succède l’ordre en bataille[1]. Le combat s’engage entre la cavalerie des deux armées. Ce n’est pas une simple affaire d’avant-garde promptement décidée. Suivant une tradition mentionnée par Plutarque, elle fut assez chaude pour que César y perdît son épée. Ce dernier ne rapporte rien de semblable ; il dit seulement, nous l’avons déjà vu, que l’action fut longue, disputée, qu’à plusieurs reprises et sur des points différens il fallut conduire les aigles au secours des auxiliaires. Donc les légions manœuvrèrent, ce qui ne se fait pas sans employer un certain temps et sans imposer aux hommes une certaine fatigue. La victoire se décide pour les Romains ; César veut profiter de ce succès ; il laisse ses impedimenta sous la garde de deux légions, et avec le reste de ses forces il continue la poursuite. Cette poursuite cependant ne fut pas si vive que Vercingétorix n’ait pu lever son camp, acheminer ses bagages et couvrir la retraite avec son infanterie ; il perdit du monde durant cette retraite, mais enfin il n’essuya pas de désastre, et son armée put gagner Alesia, que nous continuons d’appeler Alaise. César s’arrête à la chute du jour et ne se remet en marche que le lendemain. Dans cette seconde journée, il ne livra pas de combat, mais il eut encore à franchir une ou deux rivières importantes (le Doubs et la Loue, ou la Loue seulement, suivant que l’on suppose la bataille de la veille livrée au-dessus ou au-dessous de l’Ognon) ; il dut sans doute marcher avec précaution, et cependant il arriva devant Alesia assez à temps pour reconnaître la position des Gaulois, établir son armée et commencer l’investissement de la place.

Ainsi il faudrait admettre que, dans ces deux jours, les Romains auraient passé trois ou quatre grosses rivières, dont une le matin de la bataille et en présence de l’ennemi, et que, de toutes ces rivières, César n’aurait pris la peine de mentionner qu’une seule,

  1. « Constitit agmen,… aciem converti jubebat. » Cap. 67. Agmen représente l’ordre de marche ou en colonne ; acies, l’ordre en bataille.